Ayron Jones était à Paris pour son premier concert dans la Ville Lumière et RockUrLife était là pour revenir sur sa musique et sa philosophie de vie.
Tu es à Paris jusqu’à lundi pour ton premier concert, c’est comme un rêve devenu réalité ?
Ayron Jones : Il m’arrivait de rêver, mais je devais surtout baisser la tête. Je pouvais jouer de la guitare et fermer les yeux, et quand je les ouvrais de nouveau j’étais dans un endroit beau et fantastique. Je pense que c’est un peu ma mentalité. Tout est toujours une surprise pour moi. La vie est toujours nouvelle.
Qu’est-ce qui t’a attiré vers la guitare en premier lieu ? Était-ce un moyen de t’évader ?
Ayron : J’ai joué de plusieurs instruments. Je me suis mis à la batterie. J’ai appris à jouer du piano. Et puis j’ai appris le violon à l’école primaire ou au collège. Et après cela, j’ai découvert la guitare et toute ma vie a en quelque sorte changé. J’étais tellement obsédé, et cette obsession continue. Cela m’a amené à de nouveaux sommets. Je ne sais pas si c’était un moyen de s’évader pour autant. Je n’avais pas conscience qu’il y avait quelque chose à fuir. Comment un enfant né dans les ténèbres sait qu’il y a de la lumière ? On n’y pense tout simplement pas de cette façon. On se sent juste bien quand on est dans le présent? Parfois on suit un bon feeling et cela nous emmène dans de beaux endroits.
Dans tes paroles, tu es très direct et honnête sur ton enfance et ta relation avec ta mère, et ton sentiment d’abandon. Comment as-tu réussi à canaliser tout ce vécu, cette souffrance ?
Ayron : Enfant, j’ai été élevé pendant la guerre contre la drogue, qui était un gros problème dans les années 80 et 90. Mais les familles qui étaient vraiment touchées, étaient les famille de couleur en Amérique. Ma mère était une toxicomane, mon père vendait de la drogue et faisait partie de gangs. Je n’ai pas vraiment connu ma mère. Elle m’a eu à dix-neuf ans puis m’a laissé aux soins de ma tante, qui est devenue une mère de substitution. A tel point que l’Etat a décidé de me confier à ma tante de manière officielle, c’était la meilleure option pour moi. J’étais essentiellement un enfant de l’État quand ma tante a obtenu la tutelle. Sur le papier, je n’avais pas de parents, j’avais un tuteur. J’étais l’enfant du sous-produit de la guerre contre la drogue et le sous-produit de beaucoup de choses qui arrivaient à la communauté noire à cette époque. Beaucoup d’histoires que je raconte, surtout les plus anciennes, sont des histoires comme cela. Quand ma mère m’a embrassé le visage et m’a dit qu’elle reviendrait avant de partir, c’est là que j’ai découvert le mensonge.
Tu es la preuve vivante qu’il est possible de créer à partir des ténèbres pour atteindre la lumière.
Ayron : De belles choses sont créées dans les ténèbres. Les diamants sont créés à partir du sous-sol profond où il n’y a pas de lumière. Pour la plupart des gens, les choses sont créées dans les ténèbres. Cela a toujours été un peu ma philosophie, peu importe où vous êtes, laissez-vous guider par l’énergie de la vie et continuez à rêver et à aller de l’avant.
Penses-tu que c’est un avantage de devenir célèbre à ton âge ? De pas avoir tout cela qui te tombes dessus en début de vingtaine ? C’est peut-être un peu plus facile de gérer le succès, d’avoir une perspective différente.
Ayron : Je ne sais pas, c’est difficile de répondre à cette question. Je pense qu’il n’y a jamais d’âge pour quoi que ce soit. Je pense que l’âge est vraiment subjectif. Peu importe l’âge auquel tu commences, ce qui compte c’est la manière dont on finit. Il y a certainement un peu plus de maturité et donc plus de perspective oui. Dans ma ville natale, j’ai connu la célébrité à l’âge de vingt-six ans avec la sortie de mon premier disque. C’est ainsi que ma ville natale est devenue une sorte de terrain d’essai pour ce qui allait arriver. Je peux honnêtement dire que, maintenant que je suis plus âgé, il devient beaucoup plus facile de gérer ces choses. Je fais du mieux que je peux. Personne ne peut vraiment te préparer à ce que c’est que de gérer la célébrité ou les choses qui vont avec : les femmes, la drogue, tout cela. Ce truc fait partie du voyage. J’ai atteint l’âge auquel je peux vraiment avoir une meilleure perspective là-dessus. Je ne suis pas toujours bon là-dessus, mais je fais de mon mieux. Et je suppose qu’avec mes vingt ans, je suis sûre de tomber à plat à un moment ou à un autre.
Cela se reflète dans ta façon d’écrire. Ta vision de la vie est plus profonde parce que tu as vécu des choses et que tu as plus de recul.
Ayron : Oui, certainement. Le disque est un instantané du passé et pour m’introduire auprès des gens. Et qui je suis est un homme. La prochaine chose pour moi est d’évoluer, tout comme le son que j’ai créé. j’ai cette approche éclectique du rock et du R&B et du blues et de la pop et de la soul. j’ai envie de faire évoluer tout cela pour essayer de toucher les différentes racines du rock n’roll. Je vais essayer d’intégrer tous les variants du rock et les connecter avec tous les genres de rock pour rassemble toutes les personnes qui écoutent tel ou tel genre.
Et il semble que c’est encore plus facile maintenant de croiser les genres.
Ayron : Le hip hop a rendu cela possible. Désormais, les gens n’ont plus peur d’explorer et de mélanger les genres. Je n’ai pas peur de faire cela. Ce soir, je vais faire quelque chose. Demain, ce sera du R’n’B. Le lendemain, ce sera du reggae.
As-tu en tête des genres ou des domaines spécifiques que tu aimerais explorer ?
Ayron : Oh, oui. Je veux vraiment mettre en avant plus de sons, qui sont moins évidents dans ma musique, comme le hip hop. Peut-être certains sons plus punk. Je veux vraiment que ces sons soient un peu plus proéminents dans mon prochain album. C’est en quelque sorte mon objectif. Je crois que c’est la seule façon de ramener l’attention sur le rock, du moins aux États-Unis. Le rock est assez présent en France et en Europe, il y a un public qui l’apprécie vraiment à un niveau qui n’est pas comme aux USA. Je pense que mon objectif est de ramener le rock n’roll aux foules, d’une manière qu’ils pourraient aimer et consommer. Pour cela, je dois faire évoluer mon rock.
Tu semble avoir entamé un chemin pour mieux te comprendre et revenir à tes sources, tant sur le plan musical que personnel. Tu analyses beaucoup qui tu es et comment tu es devenu cette personne. Es-tu également impliqué sur le plan politique ?
Ayron : Définitivement ! Il y a beaucoup de groupes qui cherchent à faire passer leurs opinions politiques. Ce qui s’est passé avec Black Lives Matter a changé la donne. Il est important d’attirer l’attention sur ces choses et de s’assurer que les gens en sont conscients. Mais on doit en quelque sorte atteindre les gens à partir de leur état de conscience. Ce à quoi nous avons affaire en tant qu’êtres humains, en tant que ces mammifères, qui existent sur cette planète, c’est que chacun de nous est un état d’évolution de conscience différent. Certains d’entre nous sont plus avancés, et certains d’entre nous sont moins avancés. Afin d’amener les gens à ton niveau de conscience, tu dois leur parler à leur niveau. Je ne veux pas être connu comme militant parce que ce n’est pas mon but dans la vie, même si le mouvement lui-même est vraiment important. Mon travail est d’infiltrer la conscience des gens à travers ma musique, et de leur permettre de tirer leurs propres conclusions. Juste en apprenant à me connaître, moi et ma musique. Ce sera mon but. Je vais attirer l’attention et parler des choses que j’ai vécues en tant que Noir américain dans le monde occidental. Je pense que c’est une perspective vraiment difficile à voir, quand tu es la minorité. Si je sais quelque chose sur la musique, c’est que la musique a la possibilité de franchir les frontières et les lignes. Et je vais continuer à le faire à travers le rock n’roll et amener les gens dans ma conscience.
Et comment as-tu ressenti les événements récents aux Etats-Unis ?
Ayron : Cela a été une période très émouvante, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce sont des choses qui existent, et auxquelles on se conforme. On peut se battre contre tout, mais la simple vérité est que l’on a pas le pouvoir de changer les choses tout seul. Il faut qu’un groupe minoritaire tende la main à une partie de la majorité, pour que les choses progressent et changent vraiment. Être noir américain c’est compliqué, on doit faire à tant de choses, et on doit souvent les vivre en silence. Maintenant qu’on en parle ouvertement ce la me rend très émotif, parce que j’avais oublié à quel point c’est difficile. C’était une période vraiment difficile, mais j’avais l’impression qu’il était de mon devoir en tant qu’artiste de continuer à attirer l’attention dessus.
Tu as réussi à créer un son assez unique sur ton album. Tu as tenté et réussi à transmettre diverses émotions fortes avec ta voix. Comment as-tu expérimenté tout cela pour arriver aux versions finales du disque ?
Ayron : J’ai toujours eu cette manière de chanter. Je peux émuler presque tous les sons et je peux chanter de presque toutes les manières. Je pense que pour moi, il s’agissait simplement de transmettre l’émotion qui se dégageait de la chanson elle-même. Je travaille avec des co-auteurs sur ce sujet afin que certains de mes morceaux viennent d’horizons différents. La chanson “Takes Me Away” est brute et émotionnelle, je canalise du Rage Against The Machine. “My Love Remains” ressemble plus à un morceau de R&B. J’essaie de faire ressortir du Jimi Hendrix. “Mercy” est plus Michael Jackson; J’essaie toujours de canaliser les notions qui accompagnent les chansons et j’aime rendre hommage aux auteurs-compositeurs qui m’ont influencé et aidé à en arriver là.
Tu as réussi à faire tout cela en laissant respirer ta musique. Tu as réussi à jamais en faire trop et à sombrer dans le too much !
Ayron : J’ai essayé de ne pas tout mettre en même temps. De faire cela de manière subtile. C’était presque comme si j’opposais une ambiance par rapport à quelque chose qui serait trop in your face. J’ai toujours aimé mettre beaucoup d’espace dans ma musique. Je pense que le vrai but du rock n’roll était d’avoir beaucoup d’espace. À mes yeux, la texture parle d’elle-même et il y a beaucoup de texture dans ma musique. Tu n’as jamais l’impression qu’il y a trop de notes. C’est comme tu l’as dit, le besoin de laisser respirer la musique. Que ce soit presque de la poésie. La simplicité c’est toujours ma philosophie.
Alors, est-ce que tu vois parfois le soleil ? Qu’est-ce qui rend Seattle si particulier à part le mauvais temps ?
Ayron : Je pense que c’est l’isolement. Seattle est une région tellement isolée aux États-Unis et probablement dans le monde. Le temps joue certainement un rôle dans la façon dont tu te sens, mais je pense que l’isolement est le principal aspect. La chose la plus proche que nous ayons d’un centre culturel est San Francisco, voire même Los Angeles. L.A. est probablement le plus grand centre médiatique que nous ayons sur la côte ouest. Et nous en sommes si loin. Tu n’y vas pas. Cet isolement, je pense, est ce qui a engendré la musique qui vient de là. Il y a du grunge et du rock, ce n’est pas seulement du punk et du heavy rock ou du heavy metal grind, c’est en fait une sorte d’énorme influence blues. Quand on pense au grunge, les choses sont toujours omniprésentes dans cette musique on ne pense pas toujours au blues. Je pense que c’est à cause de l’isolement que Jimi Hendrix a rendu le véritable esprit de Seattle. Seattle, c’est en fait du jazz et du soul blues. Cela a certainement eu une énorme influence sur les sons qui venaient de Seattle.
Pour finir, nous sommes RockUrLife alors qu’est-ce qui rock ta life, Ayron ?
Ayron : Les gens rock ma vie. J’aime les gens, c’est mon plus grand cadeau et probablement mon plus gros défaut. J’aime les gens, j’aime les gens à mort. Et parfois j’aime trop les gens au point où je suis trop proche d’eux. Mon amour des gens a été le moteur de ma carrière et cela a fait en sorte que j’essaie continuellement de me donner et de donner mon art aux autres. J’ai toujours dit que c’était ma devise. C’est comme si Dieu m’avait accordé ce don pour jouer de la guitare. Et quand je dis Dieu, je me réfère à une présence universelle. J’ai été doté de la capacité de jouer de la guitare et d’écrire et de chanter et de comprendre cette conscience et cette musique. Et les meilleurs cadeaux que quelqu’un puisse recevoir sont ceux que vous pouvez offrir à d’autres personnes.
Ayron Jones sera à Taratata ce vendredi 25 février à 22h45 sur France 2
A retrouver en tournée française en juin et à Paris en novembre 2022 :
3 juin : Festival Papillons de Nuit
4 juin : Les Cuizines (Chelles)
5 juin : La Sirène (La Rochelle)
7 juin : L’Ecluse (Toulouse)
8 juin : Le Transbordeur (Lyon)
25 juin : Hellfest
29 juin : Festival de Nîmes (première partie de Deep Purple)
13 novembre : La Cigale (Paris)
Site web : ayronjonesmusic.com