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BETH HART (24/09/19)

English version

C’est dans le cadre de la promotion de son nouvel album “War In My Mind” que nous avons rencontré la magnifique et incroyable Beth Hart ! Outre ses talents scéniques, connus de tous, qu’en est-il de sa vision et de son processus créatif ?

Bonjour Beth ! Ton neuvième album solo sort vendredi 27 septembre. Tout d’abord peux-tu nous en dire plus au sujet de son titre “War In My Mind”. Le message véhiculé est fort. Comment le morceau a donné son nom à l’album ?

Beth Hart : A vrai dire, je souhaitais appeler l’album “Sister Dear”, que j’ai écrite pour ma sœur. C’est mon mari qui m’a suggéré de changer le titre est d’opter pour “War In My Mind”, qui est son titre préféré. En effet, cela évoque les troubles mentaux et les difficultés de ceux-ci.

Mais selon toi, en quoi est-ce un meilleur titre ?

Beth : Je ne crois pas qu’il y ai “meilleur” ou “mauvais”. Comme la beauté, l’art est si subjectif . Tu as juste à qualifier la chose naturellement, de manière à être en phase avec tes émotions. Depuis le début de ma carrière, j’ai toujours donné le titre d’un morceau à mes albums sauf deux fois. C’est ma manière de faire et vu que tout est personnel, ça me semble logique. D’ailleurs, c’est grâce à “Sister Dear” que j’ai rencontré et collaboré avec Rob Cavallo.

“Sister Dear” est un titre au travers duquel je m’excuse auprès de ma grande sœur. Et c’est une réelle avancée car j’étais tellement énervée contre elle. Elle est si forte, plus forte que moi et j’avais peur d’elle. Lors de mes premières séances chez le psy, je pense que je l’ai toujours, en quelque sorte, accusé dans le cadre de la mort de mon autre sœur. Durant ce premier rendez-vous, je suis sorti, j’ai couru pour déverser ma haine à son sujet, comme quoi Susan était naze etc. En lieu et place, je m’excusais dans ce que j’écrivais, en listant toutes les choses qu’elle a faite pour moi, plus jeune, ce qui était incroyable en fait.

J’avais joué ce morceau dans le cadre d’une soirée et Rob Cavallo, qui y était aussi, est venu me voir ensuite. Il m’a dit “écoutes, j’ai vraiment envie de produire ce morceau”. J’ai trouvé ça parfait, puisque je souhaitais dédier cet album à ma sœur. Mais comme dit, mon mari m’a dit “jamais tu utiliseras ce titre, War In My Mind est ma préférée, tu dois l’utiliser, en plus ça évoque clairement ton histoire, tes addictions et tes troubles”. En fin de compte, peu importe le titre de l’album, l’un ou l’autre, j’adore.

Prends-tu toujours source auprès de tes sentiments pour composer ? Si oui, est-ce un besoin ? De parler de tes émotions, qu’elles soient positives ou moins positives. Ou tu n’es, peut-être pas, simplement à l’aise avec d’autres sujets ?

Beth : Je suis ridiculement à l’aise pour évoquer mes sentiments avec des gens que je connais mais tout autant avec des personnes que je ne connais pas aussi. Et je ne pense pas que cela ai un lien avec le fait d’être courageuse ou non. C’est le fait d’être mentalement défié. Je n’ai pas cette peur naturelle, dans le cadre de mes relations sociales, du moins pas autant qu’une personne lambda. Parfois j’agis comme si je n’avais aucune limite et il peut m’arriver de rencontrer quelqu’un et de lui déverser tout ce que j’ai sur le cœur mais une personne extérieure me dira “tu ne peux pas faire comme ça, ça ne se fait pas” et je ne pourrais pas comprendre cela. Lorsque j’étais plus jeune, j’ai suivi une thérapie, j’avais six ans, pour échanger avec des adultes. Dès ce plus jeune âge, j’ai eu cette facilité de m’ouvrir facilement aux autres, c’était une manière de survire aussi. C’est pourquoi je suis si ouverte lorsque j’écris par exemple, c’est de cette manière que je sais faire les choses.

Quel est ton processus d’écriture et de composition ? Commences-tu toujours avec le piano ? Quid de tous les arrangements ? Ça se met en place une fois en studio avec le producteur ?

Beth : Je commence toujours par poser les accords en premier, que ce soit au piano, à la guitare ou à la basse. La mélodie vient ensuite, assez rapidement d’ailleurs. La musique, ça va relativement vite, entre cinq et dix minutes. J’attaque ensuite les arrangements. Une fois tout cela fini, si je suis encore investie dans le morceau à l’instant T, alors je me renvoie à un rêve ou une émotion, un regret ou simplement quelque chose avec laquelle je lutte ou quelque chose que j’apprécie, ça dépend, et là les mots arrivent plus facilement. La raison pour laquelle je ne commence pas par les textes, c’est tout simplement si je ne trouve pas la musique assez bonne. La finalité serait une perte de temps. Et je fais toujours le parallèle avec une belle femme.

Disons que tu sors, tu vas dans un bar et tu veux rencontrer une charmante femme. La musique renvoie à la beauté qu’elle dégage. Donc tu y vas, mais si elle n’est pas intéressante, qu’elle n’a rien à dire, tu coucheras peut-être avec elle, mais tu ne la rappellera pas. Et ça, ce sont les textes.

Je ne vais pas chercher à m’investir, corps et âme, si l’essence même du morceau n’est pas intéressante. Voila pourquoi la musique arrive toujours en premier.

Mais une fois en studio, t’autorises-tu des écarts pour de nouvelles idées et de nouveaux arrangements ?

Beth : C’est une des raisons pour laquelle j’utilise le piano ou la guitare pour composer. Le piano est très explicite. Tous les instruments en clé de sol (ndlr : donc aiguë, à l’opposé des fréquences de basse) tels que les violons, les cuivres, les guitares, ils ont le même registre que le piano. C’est la manière que tu as de les jouer et de les déformer, qui définisse le rythme. Il en est de même pour les dynamiques. Tout est intuitif. A l’image des grands compositeurs, ils ont tout fait, tout écrit, même les énormes orchestrations, à partir d’un simple piano. Tu peux tout faire au piano, c’est juste incroyable.

Prenons l’exemple de “Try A Little Harder”, qui a de sympathiques grooves, très fun mais également pas mal de variation, et énormément d’arrangements. Quelle est ta part dans ces arrangements ?

Beth : C’est là qu’intervient Rob. Je m’enregistre à l’aide de mon téléphone, et je lui envoie le morceau. S’il a des idées, on en parle avant même que j’arrive en studio et que j’enregistre mes parties de piano. Parfois j’enregistre avec tout le groupe, parfois seule. Puis, le groupe apporte sa pierre à l’édifice. Comme dit, c’est explicite, donc chaque musicien va apporter sa personnalité et son émotion. D’ailleurs, je pense qu’un excellent producteur ne devrait jamais te dicter quoi faire, à moins qu’il ai une idée bien précise. En laissant une certaine liberté aux musiciens, ils seront davantage inspirés et leur travail sera meilleur encore. Ils ne seront pas seulement heureux, mais tu en tireras le meilleur d’eux artistiquement parlant aussi.

As-tu déjà travaillé avec des producteurs qui te dictaient quoi faire ?

Beth : J’ai travaillé avec des personnes qui m’ont parfois faite souffrir, en tant qu’être humain, mais tout le monde fut/est artistiquement parfait. J’ai fait des albums qui ne me plaisent pas comme “My California” mais j’apprécie mon écriture sur celui-ci, pas la production. Si j’avais pu le refaire, je n’aurais pas autorisé ce qu’on a sorti à l’époque… Mais beaucoup aiment cet album, donc je n’ai pas de regret de ce côté là. C’est un ressenti naturel d’ailleurs. Je suis enclin à sortir de ma zone de confort en tant qu’artiste. Certains disent “restes qui tu es, suis tes envies”. Je pense que c’est le pire conseil au monde parce qu’il conforte ton ego et cela te compromet. Si tu es plus ouvert “j’ai ces idées là, elles me représentent” mais que tu es d’accord pour collaborer avec d’autres, ces idées pourraient prendre plus d’ampleur encore. Au fil des expériences, tu apprends et j’ai beaucoup appris. C’est d’ailleurs plutôt marrant car de tous les conseils qu’on m’a donné étant plus jeune, j’étais tellement entêtée à ne pas les prendre en considération. Tout vient de là. Votre génération, vous êtes supposés penser que nous somme stupides; si ce n’était pas le cas, ma génération n’évoluerait pas. Comme nous, avec notre génération précédente. On évolue sans cesse, c’est pourquoi il ne faut pas suivre à la trace les anciens et de faire à notre façon.

Un mot au sujet de “Thankful”. Tu insistes beaucoup en répétant “thank you” à quelqu’un ou envers quelque chose. Quel est l’effet recherché ?

Beth : Etre reconnaissant. Comme si je sortais là, et que je voyais tout ce qui rend les gens haineux, j’éprouverais comme eux de la haine. A l’opposé, si je cherche à voir ce qui les rend heureux, alors je me sentirais heureuse. C’est aussi simple que ça.

Lorsque tu travaillais sur ce morceau en studio, tu as dit avoir vécu “un avant gout du Paradis”. C’est joliment dit mais qu’est-ce qu’il s’est passé pour en arriver à un tel ressenti ?

Beth : C’est un morceau que j’ai co écrit avec mon ami Rune. Je suis très croyante, lui ne l’est pas. Je l’adore, c’est une de mes personnes préférées sur cette planète et j’ai tant appris à ses côtés. Bref, on était en studio et on a senti comme la présence d’anges ou quoi, mais vraiment, on a senti quelque chose et lui aussi, alors qu’il est athée ! “Tu vois ça mec, si tu veux te sentir comme au Paradis, tu n’as qu’à y penser et y croire”. Ensuite on a listé toutes les choses qui font qu’on aime la vie. Comme nos parents, nos familles, manger, la nature etc. et même des trucs dont j’ai vraiment honte comme mon alcoolisme, mes troubles mentaux; vraiment des choses que je hais mais j’y ai quand même trouvé quelque chose. Et puis soudainement, tout s’est mis à vriller et on a pleuré, pleuré de bonheur parce qu’on se sentait libre. C’était vraiment une chouette journée.

“Spanish Lullabies” dévoile quelques guitares type flamenco. Bien que tu sois qualifiée d’artiste blues, ta musique est riche et on y trouve beaucoup d’éléments musicaux justement. Qu’est-ce qui t’inspires ? Est-ce la musique que tu écoutes à cet instant T ?

Beth : Il y a tant de choses. Je n’écoute pas trop ce que les autres font, mais c’est assez cyclique. Quand j’écoute d’autres artistes, j’écoute de vieux trucs comme Billy Holiday ou Dinah Washington, Bob Marley, ce n’est clairement pas récent. Mais aussi la musique classique par exemple. Je pense que ce qui m’influence le plus, ce sont les émotions et la vie, tout simplement. Si j’éprouve de l’amour, de la jalousie, de la haine… La honte est sans doute mon plus gros moteur créatif, sans doute parce que j’en souffre beaucoup, bien plus que toute autre émotion. Je n’ai pas de juste milieu disons. Soit tout se passe bien et je pète la forme ou alors j’ai honte et peur et je me cache. Ces extrêmes m’ont sans doute poussés à jouer du piano. Un peu comme si tu criais sur quelqu’un, parce que tu es énervé, mais au fond tu sais que cela n’est clairement pas constructif, mais ça fait un bien fou, d’exprimer ça et de sortir ces émotions de soi. C’est la raison pour laquelle je compose et écrit, c’est -en quelque sorte- si bon de s’en séparer, de s’en délivrer.

En dévoilant “Bad Women Blues”, les fans ne seront-ils pas surpris du reste de l’album ? Sachant que ce titre est l’un des plus entraînants.

Beth : Peut-être, peut-être pas. Je pense que les gens qui assistent à mes concerts savent pertinemment que je ne fais jamais deux fois la même chose. S’il y a un titre rock, une ballade ou un titre jazz, tu sais d’avance qu’en achetant l’album, ce ne sera pas un album de rock ou de jazz seulement. De tous les albums, je n’ai jamais tenter de répéter quoique ce soit. Je n’aime d’ailleurs pas ces albums uniformes, je ne pourrais jamais en faire un pareil.

Comment élabores-tu un album du coup ?

Beth : Ça dépend seulement des morceaux. Lorsque je travaille sur un album, je propose 35 à 50 chansons. Personnellement je ne me préoccupe pas des titres finaux, je laisse ça à mon équipe et au producteur. Jamais je ne dirais “j’aimerais faire un album comme ci ou comme ça”, avec une idée préconçue. Ce qui m’importe le plus, c’est la composition et l’interprétation. Je travaille toujours avec un producteur différent. Cela me permet d’apprendre encore et toujours, je sais aussi que ce sera un challenge car il y aura des choses que j’apprécie et d’autres moins, c’est toujours pareil. Cela aura forcément un impact sur la musique et c’est ce que je recherche. Je n’ai pas envie d’arriver en studio et dire “ok, on va faire ça comme ça, j’ai envie de faire ça”. J’estime que c’est une mauvaise approche. Je préfère leur laisser le choix.

De tes neufs albums solo, comment définirais-tu celui là ?

Beth : Je ne pourrais pas. (rires) C’est simplement un renouveau et moi qui évolue. Personnellement, peu importe ce qu’il y a, je fonce et je fais. Aujourd’hui, contrairement à avant, je suis moins affectée par les avis extérieurs. Plus jeune, je cherchais forcément une validation. Sauf que j’ai compris que cela ne définit clairement pas ce que je suis et ce que je vaux. Peu importe ce que tu fais dans la vie, il y aura toujours des personnes pour t’apprécier, te haïr, t’aimer et d’autres qui s’en foutent royalement de ta gueule. Ça n’a pas à toucher à qui tu es.

Tu as commencé le piano très jeune, mais qu’est-ce qui t’as poussé à monter sur scène ? Était-ce naturel ?

Beth : Non, je pense que je souhaitais attirer l’attention, pour ne pas me sentir nulle. Je cherche toujours l’attention, toujours ces regards qui ne me définissent pas comme une merde. Je ne veux pas être abandonnée et livrée à moi-même. C’est pourquoi j’ai voulu me produire sur scène. Si ce n’était que pour l’amour et la passion de la musique, je serais restée chez moi, j’aurais joué chez moi, sans prise de tête. Mais je cherchais à établir des liens avec des gens et le fait que je ne sois pas mentalement normale, y contribue, sans parler de mon enfance, qui fut compliquée. C’était instable et ça a joué sur la confiance que j’ai en moi, qui est très faible, et ce où que je sois. C’est pour cela que j’apprécie les tournées, de voir de nouveaux endroits, en étant toujours à la recherche de quelque chose. Aujourd’hui, avec mon mari à mes côtés, les choses sont différentes. Ça fait si longtemps que nous sommes ensemble et il n’est clairement pas comme moi. Autant il peut être aussi excité et fou que moi, mais quand ça va moins bien, il est plus stable, pas prétentieux, mais sûr et très généreux et gentil. Je me sens plus en sécurité malgré mes démons.

Ta musique s’est retrouvée dans quelques séries TV, il y a de ça quelques années. Serais-tu intéressée de faire une bande son pour un film ou une série ? Si tu en avais l’occasion.

Beth : Hmm. Je suis si peureuse de faire quelque chose que je n’ai jamais fait. Je pense que ça dépendrait de la nature du projet et si je peux apporter un plus à celui-ci. Faire pour quelqu’un d’autre peut être parfois compliqué, nos expériences respectives sont différentes. Je ne suis d’ailleurs pas une si bonne compositrice pour un pareil job. Je pourrais y penser si je me sens proche du projet, là ce serait un challenge.

Si c’est un film évoquant les troubles mentaux ou le divorce ou les traumatismes d’une enfance difficile, alors je pourrais probablement accepter, car ce serait également une sorte de processus de guérison pour moi. En revanche si c’est pour Mary Poppins ou quoi, je ne suis clairement pas la personne idéale pour ça ! (rires)

Tu joueras à l’Olympia deux fois début 2020. Un show solo et un show avec tout ton groupe. Côté préparation, quelle est la différence entre les deux ?

Beth : Que je sois seule ou avec tout le groupe, chaque soir est différent. On ne joue jamais les mêmes titres, jamais. Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est que je ne veux pas paraître trop show biz, parce qu’à force ça va sembler faux et bien trop préparé. Ensuite, ce n’est pas bon pour ton esprit et ton âme. Plus tu deviens confiant, plus tu prends la grosse tête, et au final je me prends pour Dieu… De plus, je trouve ça parfois marrant de voir un groupe ne pas tout maîtriser, de s’arrêter en plein milieu d’un morceau, et ça arrive tous les soirs. J’adore la réaction du groupe quand je leur annonce “bon ce soir on va jouer ce titre” et eux “mais on ne l’a pas joué en cinq ans !” et j’en ai absolument rien à faire. De plus on ne la répète pas durant les balances, donc ils doivent revoir le morceau backstage. J’aime bien les torturer un peu parfois. (rires) C’est aussi une manière de se rappeler que ce n’est que de la musique, il n’y a pas mort d’homme si on se trompe. Nous ne sommes pas des chirurgiens, l’erreur est permise et est humaine. Le public peut nous huer s’il le veut ou nous jeter un truc, mais on a l’habitude, et puis, on s’en fout non ?

Et pour finir, notre petite question chérie. Nous sommes “RockUrLife” donc qu’est-ce qui rock Beth Hart ?

Beth : Mon mari ! Il est si bon. Vous l’avez croisé ? (ndlr : oui !). Je me suis réveillée ce matin, j’étais de très mauvaise humeur, mais vraiment. Fatiguée, je déversais ma haine gratuitement. “Je hais la promo, je veux sortir d’ici. Je ne peux pas le faire, je suis trop vieille pour ça.” Et lui se disait sans doute que j’étais le diable ! Donc je me suis préparée et je suis descendue. Il est venu me voir, m’a apporté une petite tasse de thé et m’a dit “je t’aime”. Franchement, je ne le mérite pas !

Site web : www.bethhart.com