James Monteith (TesseracT) et Rachel Aspe (ex-Eths) de Cage Fight étaient à Paris pour promouvoir leur premier album éponyme. L’occasion pour RockUrLife d’explorer l’origine de ce nouveau groupe au cours d’un entretien.
Bonjour à tous les deux et merci de nous accorder cette interview. Pour commencer, comment définiriez-vous le son Cage Fight ?
James Monteith (guitare) : Brut, colérique, viscéral, lourd.
Comment s’est bâtie cette collaboration entre vous deux ?
James : On s’est d’abord rencontrés il y a très longtemps, il y a environ sept ans à un concert de TesseracT. On s’est bien entendu mais nous n’avons pas vraiment parlé pendant sept ans. Quand Jon [Reid, bassiste de Cage Fight] et moi avons commencé le projet, c’était pour s’amuser, on n’avait pas l’intention de faire quelque chose de vraiment sérieux. Et puis un jour, j’étais sur Instagram et j’ai vu la reprise de Rachel d’une chanson de The Black Dahlia Murder et j’ai immédiatement pensé : “Sa voix irait vraiment bien sur ces démos“. Je lui ai donc envoyé un message. Elle m’a répondu : “Tiens, voici mon mail, envoie-moi une démo“. Je lui en ai envoyé une et vingt-quatre heures plus tard j’ai reçu son essai et c’était vraiment super. C’est comme cela qu’on a commencé.
Rachel, qu’est-ce que tu as pensé en voyant ce message arriver ?
Rachel Aspe (chant) : Je ne m’y attendais pas du tout parce que j’avais fait des reprises mais comme c’était le confinement cela s’arrêtait là. Quand j’ai reçu le message, James m’a dit : “Peut-être que ce n’est pas ton style”, j”ai écouté et je me suis dit : “mais c’est carrément mon style, j’adore“. J’ai eu des idées directement.
James, qu’est-ce qui t’a poussé à monter un projet à partir de ces premières démos ?
James : Je pense cela vient simplement du fait que tout s’est mis en place très facilement. Nous avions des démos et quand Nick (Plews, batteur) et Rachel ont été impliqués, tout s’est accéléré. Nous travaillons vraiment bien ensemble. Tout a bien collé entre nous, nous étions vraiment sur la même longueur d’onde. C’était très simple et il était presque impossible de nous arrêter.
Dans le communiqué qui accompagne l’annonce de l’album, vous dites que c’est un genre de musique qui permet de canaliser sa colère. Est-ce que toutes les chansons de l’album ont à voir avec un sujet qui vous énerve ?
Rachel : Oui et en fait on a tous choisi les sujets ensemble. Des choses qui nous énervent tous. (rires)
James : Je pense que la plupart du contenu a été inspiré par les nombreux problèmes qui sont survenus ces dernières années. Le mouvement Black Lives Matter, des cas de violences policières envers des femmes, qui ont fait couler beaucoup d’encre au Royaume-Uni. Et aussi la désinformation, en particulier les théories du complot concernant le COVID. Mais il y a aussi tout ce qui concerne le Brexit, qui était basé sur la désinformation orchestrée par l’élite afin de duper la population et leur faire croire que le Brexit était ce dont le pays avait besoin, alors qu’en fait il ne bénéficie qu’aux plus riches et a entubé tout le reste. Cela nous a vraiment mis en colère. Et toutes les atrocités qui se passent dans le monde. En fait, depuis qu’on a fait cet album, beaucoup de mauvaises choses sont arrivées. Nous avons déjà plein d’idées pour le prochain. (rires)
Vous travaillez déjà sur de nouvelles chansons ?
James : Pas exactement, mais on a des idées dans les tuyaux. On devrait peut-être s’y mettre bientôt. (rires)
Comment s’est déroulée l’écriture des démos jusqu’à l’album ?
James : C’est un mix entre les idées qui me venaient dans mon atelier et celles de Jon. Cela nous arrivait aussi, avec Jon, de boire des bières de finir éméchés. Et en nous amusant un peu on trouvait plein d’idées. Puis je me réveillais le lendemain et j’essayais de les peaufiner un peu. Et ensuite j’envoyais ces premières démos par mail à Rachel et elle faisait ses propres démos vocales par-dessus. C’est comme cela que les démos sont nées.
Après cela nous sommes allés en studio. Nick a appris les bases de la batterie et a réécrit tous les motifs de batterie sur les démos dans son propre style. Donc une fois que les parties de batterie ont été enregistrées, j’ai dû réécrire beaucoup de parties de guitares pour qu’elles concordent avec son jeu de batterie. C’était vraiment un processus organique, où tout le monde y allait de sa contribution.
Est-ce que, en dehors des prises vocales, tu as eu d’autres contributions sur l’écriture de l’album ?
Rachel : Je sais pas, je me suis juste lâchée. Jon m’envoyait les paroles, je posais ma voix dessus. Mais j’ai trouvé tous les “pattern” moi-même. Après je pense que le style s’est créé petit à petit, on n’y a pas trop réfléchi. (rires)
Sur l’album il y a quelques morceaux, l’intro et l’interlude, qui se rapprochent du style du hip hop des années 90. Est-ce que c’est aussi quelque chose qui vous a influencés d’une certaine manière ?
James : Non, nous nous sommes surtout inspirés de tous ces groupes de la scène hardcore new yorkaise des années 90, comme Madball et Biohazard. Ils avaient une très forte influence hip hop dans leur son. Quand tu écoutes “Hold It Down” de Madball, ils ont presque copié tout ce style. On a eu la même façon de penser. On le retrouve même dans un album qu’on a écouté récemment, de ce nouveau groupe Gridiron. Ils ont aussi des sortes de break hip hop dedans et c’est quelque chose de très hardcore, on a vraiment aimé cela. C’est assez cool d’entendre un nouveau groupe faire de genre de choses.
En ce qui concerne l’intro de l’album, le beat a été produit par Jeremy Sybester, qui est un producteur assez connu dans la scène garage anglaise et qui est l’un de nos amis. L’interlude hip hop au milieu de l’album ressemble aux rythmes classiques du hip hop des années 80. C’est fun, cela change un peu.
Sur l’avant-dernier morceau “My Dreams” [ndlr : le dernier étant une reprise de Body Count], on a l’impression d’entendre poindre des influences plus prog, qui renvoient un peu à ce que tu fais sur TesseracT. Est-ce que cela fait partie des styles que vous pourrez explorer à l’avenir ?
James : Je pense que ce morceau a simplement évolué naturellement et s’est transformé en une sorte de conclusion épique pour l’album. La dernière chanson est une reprise. C’était un morceau très amusant à écrire. C’est un morceau épique qui a encore cette vibe énervée mais qui a juste un peu plus de profondeur, un peu plus d’émotions et il s’y passe un peu plus de choses. Mais je ne pense pas que ce sera la direction de nos prochains morceaux, mais je ne veux pas non plus exclure le fait d’expérimenter un peu plus dans ce genre de style.
Avez-vous commencé à prévoir une tournée pour la promotion de l’album ?
Rachel : Pour l’instant il n’y a rien de prévu mais on pense que cela va plutôt se faire à la rentrée. On ne s’attendait même pas à toutes les dates qui nous sont tombées dessus là. Du coup on fait déjà cela, mais cela va arriver. (rires) En tout cas là on se régale.
Parlons de la pochette de l’album. On a ouï dire que la photo sur la pochette était la photo d’un vrai tatouage ?
Rachel : C’est moi qui l’ai fait.
Ah oui c’est chouette ! Comment cela s’est organisé ?
Rachel : En fait, vu que je faisais de la peinture, les gars m’ont demandé si je ne voulais pas faire l’artwork. J’ai répondu oui mais je ne voyais pas une peinture. Je voulais faire quelque chose de brutal, catchy. Et je me suis dit qu’il ne fallait pas faire quelque chose qui soit beau. Parce que je trouve qu’en ce moment tout le monde fait une pochette belle. Et donc j’ai décidé de faire un tatouage. J’ai trouvé une volontaire et je le lui ai tatoué.
On a passé la journée à mon studio à Londres. On a filmé, d’ailleurs cela va être le prochain clip, façon time lapse. Ensuite on a pris une photo avec un vrai photographe, parce que je ne peux pas tout faire, et je l’ai éditée avec un ami. J’ai vraiment fait ce que je voulais. Je voulais que cela soit presque sale. Que cela fasse mal quoi.
Est-ce que cela a été facile de trouver quelqu’un pour se faire tatouer le logo du groupe ?
Rachel : Non, cela a été compliqué. C’est pour cela aussi que cela a pris du temps de sortir l’album. A la base j’avais un volontaire, un gars à Glasgow, mais il n’est pas venu le jour du rendez-vous. Alors qu’il fallait booker un photographe pour faire le timelapse, etc. C’était beaucoup de pression. Après cela j’ai trouvé cette fille [la volontaire qui est sur la pochette] mais elle habitait à Londres. Donc j’ai dû attendre de déménager là-bas. Cela a pris un mois. Par contre elle était super ravie de participer au projet. Donc elle aura ses places gratuites. (rires)
Léger hors-sujet maintenant : raconte-nous ton quotidien de tatoueuse professionnelle pendant le COVID et la transition avec le projet Cage Fight ?
Rachel : Oui c’est un peu compliqué parce que je ne tatoue pas depuis longtemps et il y a des personnes qui tatouent depuis aussi longtemps que moi qui se considèrent encore comme apprentis. Je débute. Mais du coup quand j’étais à Glasgow je travaillais tous les jours, je faisais des horaires de malade. Puis j’ai commencé à avoir le groupe et cela n’a pas plu à mon patron et il m’a virée. Il m’a dit : “Tu as un mois [pour partir] parce que tu préfères ton groupe“. Là je me suis dit que j’allais déménager à Londres. J’ai dû trouver un shop là-bas. J’ai eu beaucoup de chance parce que je suis tombé sur des gens super. Par contre, j’avais de la clientèle à Glasgow et j’ai tout perdu, je suis arrivée à Londres sans client. Et là c’est difficile. J’ai dû trouver un deuxième shop où tatouer. J’ai un emploi du temps de malade : je travaille le week-end, la semaine et j’ai les concerts. Mais cela vaut le coup.
Et tu tiens le coup ?
Rachel : Pour l’instant oui, et je pense qu’après de toute façon, plus je trouverai de clients mieux cela ira, je travaillerai moins de jours. Mais oui c’est vraiment compliqué.
En allant sur ton compte Instagram on voit que l’un des shop dans lesquels tu exerces est plutôt réputé.
Rachel : Oui, à Camden [ndlr : un quartier de Londres]. Cela a accroché tout de suite, j’ai eu beaucoup de chance. Je suis allée à Londres directement après que mon patron m’a virée et j’ai direct été à Camden. Je suis entrée dans tous les shop et c’est le premier qui m’a acceptée, qui m’a dit : “C’est bon, tu fais de la musique, j’adore“.
Toujours en regardant ton profil Instagram, on voit que tu as un style de tatouages bien marqué, est-ce qu’il y a un lien entre ce style-là et la musique que tu fais ? Est-ce que le tatouage influence ton chant, ou vice-versa ?
Rachel : C’est vrai qu’en ce moment je fais beaucoup de tattoos avec des expressions énervées. (rires). Tout le monde me demande un animal énervé. C’est vrai qu’ils sont plutôt sombres et noirs. J’ai eu une période assez sombre et je trouve que cela me fait du bien de tatouer des choses sombres. Après cela me fait plaisir de faire d’autres choses aussi.
Et oui, je pense qu’il y a une influence, mais c’est inconscient. Forcément, les deux me font du bien.
Justement pour revenir au chant, pour les profanes d’entre nous qui n’y connaissent pas grand-chose, peux-tu expliquer comment tu arrives à un telle performance vocale ? Parce que c’est quand même impressionnant.
Rachel : Cela fait maintenant quatorze ans que je chante comme cela. Au début je chantais déjà un peu de cette façon, j’étais vraiment très brutale. Puis quand j’ai rejoint Eths il a fallu que je m’adapte, que je fasse un peu plus de [chant] soft, et je pense que cela m’a un peu frustrée. Après cela j’ai trouvé un autre groupe qui était du brutal death et j’ai appris à faire des [notes] graves vraiment graves. Et puis en même temps je me disais que cela ne me plaisait pas de faire du grave tout le temps, donc j’ai essayé plein de choses. Aussi, avec Eths je prenais plus à partir la gorge et je me suis rendue compte que je me l’abîmais un peu, ce qui fait que maintenant j’ai complètement changé ma technique.
Justement : comment protèges-tu ta voix ?
Rachel : Quand j’ai commencé Cage Fight, j’ai tellement envoyé que je me suis un peu abîmée. J’ai dû me reposer pendant un mois et c’est à ce moment que j’ai dû réapprendre une technique. Maintenant je fais une routine, tous les jours, où je fais des bruits, tout simplement. Des bruits du genre : (imite un râle). Ensuite je fais des petits cris, très légers. J’essaye de faire cela une heure par jour et j’ai remarqué que depuis que je fais cela c’est nickel.
J’ai aussi remarqué que moi, quand je ne suis pas dans le mood, j’ai plus de mal. Moi ce qui m’aide le plus c’est la rage.
Revenons en arrière pour parler de ton passage dans l’émission La France A Un Incroyable Talent. Pourquoi n’as-tu pas voulu aller au-delà du premier tour ? Tu ne voulais pas renier ton identité, en quelque sorte ?
Rachel : En fait c’est eux. Ils m’ont dit oui et puis ils m’ont rappelée et m’ont dit que si je devais faire le deuxième tour il fallait que je m’habille en rose, que je fasse quelque chose de plus soft. Et là je leur ai répondu : “En fait pour vous le metal c’est Johnny. Vous comprenez pas” (rires). Mais je pense que je le referais, en fait, si j’en avais l’occasion. Parce que je pense que c’est important et cela a ouvert [le metal] à plein de gens, on ne s’en rend pas compte.
Et si tu y participais à nouveau, est-ce que tu ferais quelque chose de différent ?
Rachel : Du coup, avec toutes les techniques que j’ai apprises depuis, cela serait encore plus brutal. (rires)
Au fond qu’est-ce-que cette expérience t’a apporté ?
Rachel : J’étais plus jeune à l’époque, je n’avais pas trop confiance en moi, j’avais pas trouvé de groupe qui me plaisait. Du coup cela a boosté ma confiance, cela m’a un peu ouvert à l’international, j’ai rencontré plein de gens, j’ai commencé à parler au guitariste de Shai Hulud. J’ai fait un feat avec eux et là on joue avec eux en avril. Donc cela a tout ouvert.
Penses-tu que ton passage dans l’émission a aidé pour rejoindre Eths ?
Rachel : Ils ont fait un post quand ils se sont séparés et du coup je leur ai envoyé un message. Après ils ont vu la vidéo donc je pense que cela a appuyé l’audition.
Quels étaient tes meilleurs souvenirs avec Eths ?
Rachel : Mon plus gros souvenir c’était le Hellfest (2015). Et c’était un groupe que j’écoutais quand j’étais ado donc forcément le tout c’était génial. Un autre moment génial c’était quand la télévision japonaise est venue. Ils ont fait “une journée dans ma peau“, c’était énorme. Je n’arrive pas à retrouver la vidéo malheureusement.
James, l’autre groupe pour lequel tu es connu est le projet progressif TesseracT. Quelles sont les principales différences entre ce projet et Cage Fight, en terme de style, de technique, de matériel ?
James : Techniquement, TesseracT repose vraiment sur les dynamiques, la précision et des nuances subtiles. C’est vraiment très détaillé. J’imagine que rythmiquement c’est beaucoup plus complexe. Alors que Cage Fight est vraiment beaucoup plus agressif et beaucoup plus simple dans sa construction. Par contre pour la technique, c’est beaucoup plus sportif. Il y a beaucoup de downpicking, beaucoup de picking agressif et rapide. D’une certaine façon on peut dire que le jeu de Cage Fight demande plus de travail mais moins de cervelle. (rires)
C’est donc comme cela que tu résumerais ces différences ?
James : En terme de jeu technique, oui, c’est beaucoup plus physique, alors que pour TesseracT, c’est plus cérébral. Les deux groupes ont leurs difficultés, chacun de leur propre façon, je pense. En ce qui concerne le matériel c’est très différent aussi. TesseracT est très orienté “tech”, tout est séquencé. On a des modulateurs d’amplis, on joue avec un métronome et les tempos changent constamment. On a un ordinateur qui change nos patchs MIDI, on a beaucoup de delay, beaucoup d’effets. Alors que pour Cage Fight c’est juste une guitare, un ampli.
Qu’est-ce que tu préfères jouer entre les deux ?
James : C’est une expérience totalement différente. Je ne peux pas comparer les deux. Ce sont deux expériences très très différentes mais j’adore jouer Cage Fight. J’ai toujours voulu jouer ce genre de musique et maintenant je peux enfin le faire ! (rires)
J’ai grandi en écoutant beaucoup de choses comme le thrash et le hardcore. Mais je n’ai jamais pu en jouer. J’ai essayé d’importer un peu de ces influences quand j’étais plus jeune mais ce n’était pas ce style-là. Et après j’ai rejoint TesseracT et cela a été mon focus ces quinze dernières années. Mais maintenant je peux me concentrer entièrement sur ce genre de style, ce qui est tout simplement ce que j’avais envie de faire toute ma vie.
Dernière question : nous sommes RockUrLife, alors qu’est-ce qui rock votre life ?
James : Ce qui rock ma life ? La bière et le heavy metal. (rires)
Rachel : Je dirais hurler. Manger. (rires)
James : [En Français] Fromage. J’adore le fromage. Je mange le fromage. (rires)
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