Cradle Of Filth est de retour avec “Hammer Of The Witches”, son onzième album. A cette occasion, rendez-vous avec Dani Filth, chanteur, autour d’une tasse de thé pour parler de sorcellerie et de liberté de pensée.
Salut Dani, comment vas-tu ?
Dani Filth (chant) : Je vais bien merci.
Est-ce que tu aimes Paris ?
D : (en français) Oui. (rires).
Nous sommes situés près de Montmartre, où ont pu vivre Dali et bien d’autres artistes.
D : Ce qui est étrange, c’est que j’ai dû venir à Paris environ soixante-dix fois. Et je me suis toujours trouvé à côté de ce satané quartier. À chaque fois ! Tous les hôtels où j’ai pu aller, sont à proximité de l’Élysée Montmartre.
Tu aimes ce lieu ?
D : Je suis obligé de l’aimer ! (rires) Je n’ai pas le choix ! Mais oui, j’aime beaucoup.
Pourrais-tu vivre à Paris, dans ce quartier ?
D : Si j’avais de l’argent… tout le monde peut vivre ici, mais ça coute très cher. C’est comme Londres. Ma sœur et mon frère vivent à Londres, et la vie y est chère. Je ne suis pas vraiment une personne urbaine, je vis à la campagne. Mais si j’avais beaucoup d’argent, j’aurais une maison partout. J’ai également un logement à Manhattan.
Le onzième album de Cradle Of Filth “Hammer Of The Witches” va sortir le 10 juillet. Comment te sens-tu aujourd’hui à quelques mois de sa sortie ? Anxieux ? Stressé ?
D : Je suis très impatient qu’il sorte ! On est resté en studio pendant quatre mois, en prenant une petite pause pendant les fêtes de Noël. Nous avons juste fait un seul concert, c’était aux Philippines. C’était un gros festival, c’était génial. Maintenant, j’ai l’impression que c’est un nouveau réveil. Le studio était comme une période d’hibernation. Maintenant je reprends l’habitude d’être dans un groupe, en faisant beaucoup d’interviews pour des télés ou des radios. Rassembler nos talents, tourner un clip comme on a fait il y a quelques mois. Donc maintenant on peut dire que je reprends du service ! Et le studio où l’on était très petit et il fallait faire une heure et demi de route pour trouver de quoi vivre.
Etait-ce à Grindstone Studio ?
D : Oui Grindstone ! Avec Scott Atkins, qui est devenu un ami très proche. Et il était notre chauffeur ! J’ai donc vécu tout ça comme une hibernation. Ce studio est au milieu de nulle part ! On y voit deux personnes dans la journée. Ça a pris forme pendant des mois ! Et maintenant il est écouté partout ! Comme à Londres et demain je vais en parler en Allemagne.
L’album est partout !
D : Oui ! C’est un peu comme un état de chrysalide, maintenant le papillon prend son envol, tu dois déployer tes ailes et rayonner. Donc oui, c’est comme un réveil après un long sommeil hivernal.
Grindstone Studio est supposé hanté, est-ce vrai ?
D : On en a rigolé ! À l’origine c’est une idée de la maison de disque ! Ils se sont dits “Oh Cradle Of Filth… le studio doit être hanté !”. Ils l’ont écrit sur le dossier de presse, sans nous consulter, mais on en rigole car on a toujours pensé qu’il l’a été. Le bâtiment où se trouve le studio a sûrement dû être une grange ! Je ne sais pas à quoi il servait, sûrement garder des cochons, au Moyen-Âge.
“Hammer Of The Witches” est basé sur un traité de la persécution des sorcières, il a été rédigé et publié en 1487, la première publication était en France. Quand et comment as-tu pris connaissance de ce document ?
D : J’ai grandi dans un coin qui s’appelle “The Witch County” (ndlr : La Comté des Sorcières), dans le Suffolk. Il y avait un film avec Vincent Price qui s’appelait “Witchfinder General” (ndlr : “Le Grand Inquisiteur” de Michael Reeve, 1968). C’est l’un de mes films préférés, ça parle d’un chasseur de sorcière. Le film prend lieu (du moins dans le scénario) là où j’ai grandi. Ma femme et moi habitions dans une maison que ce personnage aurait visitée plusieurs fois. C’est une très vieille maison ! Quand j’ai grandi, cette histoire faisait partie de ma vie avec le heavy metal et les films d’horreurs. Toutes ces idéologies m’ont mené à m’intéresser à l’occulte. Donc je n’ai jamais vraiment été étranger à cet ouvrage. “Hammer Of The Witches” n’est pas un album concept. Il n’y a que quelques chansons qui parlent de sorcellerie, tout comme la chanson éponyme parle en effet du “Malleus Maleficarum” qui en est sa traduction, c’est le châtiment attribué aux sorcières. De notre point de vue, ce sont les sorcières qui sont en possession du marteau. Je leur rends hommage, mais d’autres ont souffert aussi comme les juifs.
Tu parles des persécutions de communautés.
D : Oui, les persécutions religieuses en général. C’est l’occasion pour que ces voix se fassent entendre.
Quelle est ta relation avec le mythe de la sorcière ? Tu as dit que tu as grandi avec tous ces mythes et la culture de l’occulte.
D : Quand j’étais jeune je fréquentais des filles qui pratiquaient la Wicca et je m’y suis mis aussi. Sûrement parce que je voulais coucher avec elles ! (rires) Je pense que c’est aussi la raison pour laquelle tu montes un groupe, tu veux juste coucher avec des filles ! Je sais que ça paraît cool, mais c’est là comme ça que tout a commencé. Là où je vis aujourd’hui, il y a beaucoup de légendes et mythes.
Avais-tu peur des sorcières quand tu étais petit ?
D : Non, pas du tout ! Car la plupart des chasses aux sorcières avaient pour but de les voler. Le “Malleus Maleficarum” était un livre pour trouver des personnes innocentes et il fallait justifier tout ça en les accusant de sorcières pour les torturer et les tuer. Je me suis rendu compte que la grande majorité des victimes étaient de jolies jeunes filles que l’on voulait les voir nues. C’étaient de véritables crimes et tu étais payé très cher pour les accomplir. Donc c’était une motivation pour trouver des sorcières.
Préfères-tu la vision médiévale des sorcières, ou quelque chose de plus moderne comme “Ma Sorcière Bien Aimée” ou “Charmed” ?
D : (rires) Je pense que j’ai une préférence pour l’aspect médiéval du sujet. Mais j’apprécie les travaux contemporains. Il y en a énormément aujourd’hui des films ou séries sur la sorcellerie, la Wicca et le paganisme d’ordre plus général. J’ai chez moi beaucoup de livres sur la sorcellerie, les talismans et bien d’autres sujets pointus.
Comme à ton habitude, ta musique est remplie d’images et d’ambiances cinématographiques. Cette fois-ci la pochette de l’album a été réalisée par Arthur Berzinsh… On le prononce bien ?
D : Je ne sais pas comment prononcer son nom, il est letton.
À propos de la pochette de “Hammer Of The Witches”, Berzinsh dit qu’il s’agit d’un “conflit entre la pensée libre et le totalitarisme”. Qu’en penses-tu ?
D : Il y a deux points de vue dans tout ça. Le “Marteau des Sorcières” peut être mal interprété. On l’a évidemment réinterprété à notre manière, en donnant le marteau aux sorcières, ce qui leur donne le pouvoir. Le premier titre que l’on voulait donner au disque était “The Persecution Of Witches” (ndlr : “La Persécution des Sorcières”). Tout dépend de quel côté du miroir tu te trouves. Je me rends compte que dans toute l’œuvre de Cradle Of Filth, ça a été le cas : donner deux côtés à chaque thèmes abordés. Cela dépend de quel côté tu te situes. En général, nous sommes en faveur de l’opprimé.
Quand tu écris tes chansons, penses-tu à la subversivité ? Pour ce qui est des sorcières, y vois-tu un lien avec le mouvement féministe actuel ?
D : On peut dire que oui, mais de manière individuelle. Les femmes ont toujours été rabaissées, la sorcellerie a toujours été anti-conformiste, surtout dans ces périodes classiques. C’était une grande force à une époque où on ne connaissait vraiment pas grand-chose en sciences, ou bien à quoi pouvait servir la sorcellerie. Je pense que le subversif arrive de manière autonome dans ce que nous écrivons. Nous vivons aujourd’hui dans une époque qui est supposée être libre de toutes adversités religieuses, notre volonté est censée l’être aussi. Le monde devrait nous appartenir. Aujourd’hui, cela fait des siècles et des siècles que cette culture n’est pas assez représentée et est persécutée. C’est maintenant notre moment pour exprimer que nous pouvons être qui l’on veut. Donc oui, je pense que l’on peut faire un parallèle avec le féminisme. Mais je pense que beaucoup de féministes détesteraient notre artwork, car il contient plusieurs éléments concupiscents, avec des femmes attirantes et nues. Mais Arthur a voulu mettre en avant notre aspect néo-classique. Et tu peux aller dans n’importe quel musée, les plus belles femmes ont toujours été peintes avec peu de vêtements, ça a toujours été comme ça.
Oui, à moitié nues.
D : On a toujours représenté la beauté dans l’art sous cette forme. Et si tu n’aimes pas, n’achète pas !
Pendant l’Inquisition, l’Église condamnait tous ceux qui ne croyaient pas en Dieu. Penses-tu qu’aujourd’hui les croyants condamnent toujours les non-croyants ?
D : Bien sûr. Je ne veux pas rentrer dans le vif du sujet, mais je vois de loin les conflits au Moyen Orient.
Penses-tu à Daesh ?
D : Il y une chanson sur l’album qui s’appelle “Onward Christian Soldiers” qui fait directement référence aux croisades. Tu peux mettre en parallèle les paroles de ce titre et avec relecture faire un lien avec ce qui se passe de nos jours. Ce conflit des religions. Nous sommes supposés avoir le même dieu et nous nous battons toujours… Nous vivons dans une période de raison, une période éclairée et pourtant le monde est toujours en guerre, prophétisant la fin du monde. Les hommes devraient être unis, et de mon point de vue, nous sommes toujours proches du Moyen-Âge…
Dans la chanson “Deflowering The Maidenhead, Displeasuring The Goddess” tu chantes “Religions caw epistles, twisted laws extend their thistles. A crown to justify, our place atop, this hellhound carriage” (ndlr : “Les religions croassent des épîtres, les lois dérangées étendent leurs chardons. Une couronne pour justifier, notre place au sommet, ce transport vers l’enfer” ) Dans le contexte de l’album, parles-tu bien des chrétiens ?
D : Oui
Et des soldats chrétiens ?
D : Oui
Marilyn Manson disait qu’il y a toujours eu un “fascisme du christianisme”, penses-tu que c’est toujours d’actualité ?
D : Je dirais que dans certains endroits oui, comme aux Etats-Unis ou les pays occidentaux. Je pense qu’il y a un fascisme dans toutes les religions, à partir du moment où on les oblige les fidèles à penser et agir d’une seule manière. Et il y a toujours eu un conflit entre deux parties importantes. Dans un premier temps, les catholiques et les musulmans. Je ne fais pas de généralités, c’est juste une minorité qui s’est engagée dans ces conflits et ça continue. Mais il y aura toujours des partis politiques et religieux qui penseront savoir plus de choses que n’importe qui et que leur religion est juste, qu’eux-mêmes ont raison et tu ne changeras jamais ça, ça fait partie de la nature humaine…
As-tu eu une éducation religieuse dans ta jeunesse ?
D : Mes parents n’étaient pas du tout religieux ! Mais ils m’ont toujours envoyé dans des écoles catholiques, car c’était les meilleures… (rires) Ce qui est vrai en plus ! Je suis même allé dans l’église de l’école. Et je pense que c’est à cause de ça que j’ai grandi en méprisant le catholicisme. J’étais un élève modèle, puis j’ai commencé à me rebeller, car je n’aimais pas ça.
Et qu’est-ce qui t’as donné l’envie d’approfondir dans les sciences occultes ?
D : Beaucoup de choses… J’ai grandi en allant voir des films d’horreur, en écoutant du metal et comme je l’ai dit, je sortais avec des filles qui étaient à fond dans la sorcellerie. Toutes ces petites influences m’ont fait acheter des livres pour découvrir, apprendre puis ensuite rejoindre, dans ma jeunesse, un groupe occulte. J’ai une grande bibliothèque… Aujourd’hui je me vois comme un vampire qui adore Van Helsing (ndlr : personnage ayant mis fin à l’existence de Dracula). Je ne suis affilié à aucun mouvement ou groupe. Plus tu vieillis, plus ton esprit s’ouvre sur ce qui t’intéresse. Tu réalises que tout ce qui te passionne, ce qui te plaît peut t’apporter bien plus de connaissances que quand tu es jeune. Ce n’est pas que tu es fermé d’esprit, mais tu ne vois pas tout le tableau. Plus tu vieillis, plus tu as du recul et tu vois le tableau entièrement. En espérant que tu y vois tous les tenants et aboutissants avant de mourir. (rires) Tu vois, je viens juste de réaliser que c’est bien et mauvais à la fois. Et ça m’a pris toute ma vie pour réaliser que je n’ai fait que ça et je ne peux rien y faire !
Parmi toutes ces créatures diaboliques, ces monstres et ces sons angoissants présents dans Cradle Of Filth, y-a-t-il une chose qui te fait peur ?
D : Oui, beaucoup de choses… Je détesterais…N’importe qui détesterait se retrouver en prison. Je méprise littéralement ce qui est “normal”. La normalité peut être une bonne chose, si tu es très malade tu as n’as qu’une envie, c’est de te sentir bien à la maison. Mais tout ce qui est “normal”…Quoiqu’il en soit ma maison est tout sauf normale. Je pense que le manque d’intérêt et l’ennui m’effraient. Ne rien avoir à faire… c’est surtout ça qui me fait peur. Pas d’araignées géantes ou des trucs comme ça… ! (rires)
Notre site s’appelle “RockUrLife”, alors qu’est-ce qui rock ta life, Dani ?
D : Les femmes, ma famille, la musique, le cinéma, l’art, la littérature… Beaucoup de choses en fait…
Merci beaucoup Dani !
D : Tout le plaisir était pour moi ! Cheers !
Site web : cradleoffilth.com