Interviews

ENTER SHIKARI (02/12/14)

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A l’occasion de la sortie de “The Mindsweep”, l’équipe de RockUrLife a eu l’opportunité de s’entretenir avec Rou Reynolds et Chris Batten, respectivement chanteur et bassiste du quatuor Enter Shikari, quelques semaines avant leur concert à La Cigale.

Premièrement, comment ça va ?

Rou (chant) : Très bien, merci.

Vous avez l’air fatigués.

R : Mince, je pensais bien le cacher. (rires) Oui, un peu. On s’est réveillés à six heures pour prendre l’Eurostar.

Chris Batten (basse) : Tels que tu nous vois là, on est actuellement au top de la fraîcheur.

R : (rires) Chris a dormi six heures. Nous ça nous suffit.

C : C’est sûrement pour ça que je suis fatigué !

Enter Shikari est de retour avec un quatrième album, “The Mindsweep“. Pourquoi avoir opté pour ce titre ? Est-ce en référence au jeu du (presque) même nom ?

R : “The Minesweeper” ? Ce n’est pas réellement une référence, mais plutôt un jeu de mots. “The Mindsweep” se veut comme une progression du livre 1984 de Georges Orwell. Chaque fois qu’une nouvelle idée ou un nouveau système à contre-courant de la pensée conventionnelle apparait, les hommes de pouvoir font souvent tout ce qu’ils peuvent pour se débarrasser de ces pensées novatrices qu’ils jugent néfastes. Ils les ignorent et ne leur donnent aucun crédit, ou se débrouillent pour les empêcher de prendre trop d’ampleur.

 

 

On doit l’artwork à Luke Insect. Comment en êtes-vous arrivés à collaborer avec lui ?

R : On nous l’a suggéré, je crois ?

C : Il était motivé pour le faire. On est très investis dans la musique, donc c’est une bonne chose pour nous d’avoir un avis extérieur. Luke est venu, a écouté l’album et l’a transformé en une version dessinée, visuelle. Esthétiquement, on a toujours aimé l’idée de représenter un cerveau en ébullition, et c’est ce qu’il a fait pour “The Mindsweep”, ce qui rentrait totalement dans l’univers du disque.

Dans cet album, chaque chanson possède sa propre identité. On passe de la douceur à l’agressivité, de l’électro aux instruments d’orchestre, du scream au rap. Il y a même plus de diversité que dans “A Flash Flood Of Colour” (2012), ce qui est assez perturbant, parce que vous vous situez toujours sur le maigre espace séparant deux styles musicaux, ce qui nous empêche une fois de plus de vous mettre une étiquette.

R :  (rires) Désolé !

 

Il semble qu’un de vos objectifs principaux en tant que groupe est d’innover, de surprendre, et de ne pas tomber dans le piège qui vous pousserait à devenir un cliché de vous-même.

R : C’est une bonne façon de résumer notre manière de fonctionner. Eviter les clichés devient chose difficile de nos jours. Lorsque “Take To The Skies” (2007) est sorti, tout le monde était là “Les gars, c’est tellement novateur!”. Mais maintenant, c’est presque devenu cliché d’avoir un breakdown suivi d’un riff ou un beat entrainant. Tu dois impérativement continuer à progresser. J’ai l’impression qu’on a ce diablotin anti-cliché au dessus de nos épaules, prêt à nous fouetter au moindre faux pas. (rires) On le remercie pour ça, c’est le cinquième membre d’Enter Shikari !

Quelles sont vos trois titres préférés de ce disque et pourquoi ?

C : C’est méchant.

R : Question des plus cruelles.

C : Ce que je préfère dans cet album, ce sont les refrains très mélodieux, atmosphériques. Avec ça en tête, les vrais gros refrains sont dans “Torn Apart”, “The One True Colour”, et “There’s A Price On Your Head”, même si celle-ci sonne très différemment et se démarque clairement des autres. Aussi, on a essayé de produire des chansons qui se complètent les unes les autres, via différentes instrumentations.

R : Je te rejoins là-dessus, mais je rajouterai quelque chose à propos de “The One True Colour” et “Torn Apart”. Les outros sont des outros qui montent en puissance, ce que l’on a déjà fait auparavant, mais je pense, du moins j’espère, que l’on a vraiment réussi ça sur cet opus. J’essaie au mieux de m’assurer que le climax de la chanson arrive lorsque tu veux qu’il arrive, pas trop tôt, ni trop tard. C’est assez difficile.

C : On rencontre parfois des bouts de mélodies qui réapparaissent un peu plus tard dans une chanson, pour que le tout devienne au final une grosse mélodie harmonieuse et percutante. C’est ce qu’il se passe sur “Dear Future Historians…”.

R : C’est une tactique de musique classique, qui est d’ailleurs une grande influence sur cet album. Je rajouterai aussi “Never Let Go Of The Microscope” dans mon top 3, simplement pour le contenu même des paroles, la passion que possède ce titre.

 

 

Il y a quelques références philosophiques sur cet album. Comment est venue cette passion pour la philosophie ?

R : Je suppose que je m’y suis intéressé probablement de la même manière que les autres, grâce à Bertrand Russell. Il est vraiment bon pour introduire les gens à la philosophie, et il possède une variété de livres historiques qui lui servent à t’expliquer les premiers jours de philosophie et les philosophes de la Grèce antique comme Confucius, jusqu’aux temps modernes. Je l’ai découvert grâce à ses écrits sur la religion et l’athéisme. Bertrand Russell est époustouflant dans ce domaine. On est allés à Athènes il y a quelques mois, c’était un rêve qui devenait réalité. Marcher sur les traces de Socrate était génial. La philosophie antique a également été une grande influence pour “The Mindsweep”.

Y a t-il un titre que vous n’auriez pas été capables d’écrire et composer il y a quelques années ?

Rou et Chris : Toutes !

R : Parce que l’on repousse nos limites à chaque fois que l’on compose un album, on écrit en fonction de ce que l’on connait et de ce qu’on est capables de faire sur le moment. On veut s’assurer que l’on est en train de créer quelque chose de nouveau, et pas quelque chose que l’on aurait pu faire il y a quelques années. Lyriquement parlant, je n’aurais pas été capable d’écrire tout ça également.

C : Si tu te sens totalement à l’aise lorsque tu écris, ça veut dire que tu sais exactement dans quelle direction tu vas diriger ta chanson. A contrario, lorsque tu te forces à sortir de ta zone de confort, il n’y aucun “bon” chemin à prendre, et forcément, ça t’ouvre énormément de portes. Rien n’est préconçu dans ta tête, alors tu es libre de créer quelque chose de nouveau. C’est un peu une réponse bateau que je te donne là. (rires)

R : Evidemment, la musique est un domaine dans lequel on doit aussi se sentir à l’aise. Mais la pop est une musique facile. La folk est une musique facile. Je pense que l’essence même du punk -et je veux dire par là l’idéologie punk, pas les mohawks et cracher sur les gens-, est que l’inconfort qu’il cause fasse réfléchir. Si quelqu’un écoute notre musique et se dit seulement “Mmh, c’est plutôt sympa, tu trouves pas ?”, ce n’est pas ce que l’on recherche.

 

 

Justement, avec le succès mondial des chansons pop, quelle est, d’après vous, l’importance des paroles de nos jours ?

C : C’est important pour nous. Notre musique nous permet de tourner aux quatre coins du monde, et par extension, on emporte les messages qu’elle contient avec nous. On ne lui accorderait pas autant de temps, d’efforts et d’intensité si cette musique n’était pas quelque chose de si précieux à nos yeux. Donc, d’un point de vue égoïste, les paroles sont essentielles.

R : Je pense que nos concerts ressembleraient à autre chose si les paroles n’étaient pas ce qu’elles sont. Même si l’on chantait à propos de problèmes à plus petite échelle telles que des relations ou des combats personnels, tout le monde ne pourrait pas s’identifier, tandis qu’on peut tous le faire avec des paroles à portée sociale, humaniste ou environnementale. Certaines personnes ne veulent pas s’identifier ou pensent qu’elles ne peuvent pas, mais nous n’avons qu’une seule Terre, une seule chance de survie. Tout le monde devrait se sentir concerné par un problème aussi fondamental et universel.

Qu’est-ce qui vous choque le plus au sein du système dans lequel on vit ?

R : Qu’est-ce qui nous choque le plus ? OK. Tu as combien de temps devant toi ? (rires) La majorité des problèmes dans le monde sont causés par le capitalisme, le fait que l’on accorde plus d’importance au profit qu’à autre chose. Il n’y a rien dans l’idéologie capitaliste qui respecte l’environnement ou instaure une égalité au sein du peuple. Pourtant, je n’imagine rien ne plus important que notre planète et une société égalitaire, saine, agréable et florissante.

C : Le fait que tout cela ne profite qu’à si peu de personnes est un outrage.

R : Tout semble être lié, voir entièrement causé par ça.
 

 

En parlant d’économie et de politique, il y a en France ce que l’on appelle le Front National, qui est un parti politique nationaliste, conservateur et protectionniste qui existe depuis assez longtemps, mais prend de plus en plus d’ampleur depuis quelques années grâce au nombre grandissant de sympathisants. Si vous habitiez en France, que feriez-vous ?

C : Rassure-toi, on a la même chose en Angleterre.

R : Chaque pays semble assister à une renaissance de ce genre de parti. Dès qu’il y a une crise économique et que les choses se compliquent, les gens mécontents prennent forcément pour cible quelque chose ou quelqu’un. C’est très facile et petit de faire ça. Cela revient à dire “Accusons les immigrants !” sans, encore une fois, s’intéresser au noyau dur du problème. Le fait que la technologie se développe autant n’aide pas non plus, beaucoup d’emplois sont supprimés. C’est tellement simple de blâmer un humain. Si tu mets un visage au coupable, ça devient beaucoup plus facile.

C : Les gens s’énervent mais ne comprennent pas réellement le pourquoi du comment ou où diriger leur énervement. Forcément, ça devient très tentant pour eux de rejoindre un parti extrémiste.

R : Il est nécessaire de se concentrer sur les émotions de chacun. La clé à tout reste toujours l’éducation, et encourager une communauté à s’ouvrir à l’autre.

Mais le parti est-t-il aussi puissant là-bas ?

C : Il gagne de plus en plus de sièges. La majorité de la population est ouvertement contre cependant.

R : On a le Front National, qui est lié au BNP (British National Parties). Les deux sont les mêmes. Et puis, on a une version plus soft qui est le UK Independence Party. Ils viennent d’obtenir un siège au Parlement Européen et deviennent de plus en plus influents. Il y a la gauche, qui est rattachée à la classe ouvrière, et la droite qui est conservatrice. Parce que les élections arrivent l’année prochaine, beaucoup d’anglais estiment que ce parti a une chance de devenir un candidat majeur. Ils pensent que la vie au Royaume-Uni pourrait être améliorée avec eux, ce qui est dangereux parce qu’ils sont plus conservateurs que les conservateurs. Les choses évoluent rapidement, et il devient de plus en plus important de se battre contre ça.

Pour reprendre une de vos lignes, vous disiez dans “System/Meltdown” “Countries are just lines drawn in the sand”. Récemment, David Cameron a fait savoir son intention d’instaurer de nouvelles restrictions concernant l’immigration au Royaume-Uni. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

R : “System/Meltown” parle d’un point de vue plutôt philosophique. Ce concept de pays est une manière anachronique de structurer le monde. Cela ne fait aucun bien à qui que ce soit, et je pense que ça distrait surtout la société d’une réalité tragique pourtant négligée: nous vivons sur une planète qui possède des ressources limitées, et par conséquent, nous n’avons qu’une et une seule chance de faire survivre la race humaine en en faisant bon usage. Si tu divises le monde en pays, chaque contrée se battra pour avoir sa part du gâteau plutôt que de réfléchir à une manière d’en faire profiter tout le monde. Tout ce qui est en rapport avec les pays me fait grimacer. C’est un pur cliché, un système dépassé. Même si je pense que Paris l’est aussi, il n’y a pas d’exemple de diversité plus probant que Londres, où chaque rue est bondée d’habitants venant des quatre coins du monde. Beaucoup parlent d’une perte d’identité britannique, comme si l’identité dont ils parlent ne s’arrêtait qu’au fish and chips et aux bières. Pourquoi vouloir limiter ton identité à seulement une minuscule chose ? Pourquoi ne pas souhaiter que ton identité soit toutes ces choses à la fois? C’est insensé. Tout notre NHS, notre service de sécurité sociale, est géré quasiment entièrement par des immigrés. Ils travaillent à la NHS, pour qu’on évite d’avoir des maladies. (rires)

C : L’immigration profite beaucoup plus au pays qu’on ne le croit !

 

 

Question plus légère maintenant : Rou, parmi un tas d’arguments intéressants, tu as dis dans ton discours du Z-Day sur la valeur sociale de la musique que “l’instrument musical est un instrument d’unité”. Est-ce pour ça que vous avez décidé de devenir musicien ?

R : Notre intention était plus personnelle à la base. On voulait faire de la musique pour faire de la musique.

C : Je suppose que les gens se mettent à jouer d’un instrument pour progresser et dans un futur plus ou moins proche, créer une bonne mélodie. On était très jeunes lorsque l’on a commencé, 10 ou 11 ans. A l’époque, c’était juste de l’amusement. Depuis, c’est devenu différent.

R : Une fois que l’on a réalisé le pouvoir de parole et le piédestal qui nous étaient donnés, étant un groupe tournant pas mal, on a voulu utiliser notre mini-popularité pour parler de problèmes qui nous tenaient à coeur. La musique est un des meilleurs moyens de mettre en place une certaine unité, parce que tu rassembles un paquet de personnes qui ne se connaissent ni d’Eve ni d’Adam dans une même salle, ou dans un immense terrain lors de festivals, et c’est déjà unir des gens issus de tous milieux sociaux.

Pour conclure sur la même question traditionnelle que l’on vous a posé l’année dernière : notre site s’appelle “RockUrLife”. Qu’est-ce qui rock vos vies cette année ?

R : Qu’est-ce que j’ai dit l’année dernière, tu t’en souviens ?

“Mon chat”.

Rou et Chris : (rires)

R : Ah, j’étais sûr d’avoir dit quelque chose comme ça !

Et Rory a dit que tu rockais sa vie.

C : C’est ce qu’il a dit ? Oh, merci mec ! Il rock ma vie aussi.

R : Ce genre de questions vastes sont les plus difficiles parce que ça revient à te demander:  “Okay, je parle de bouffe ou de musique ?”

C : Pour X raison, je n’arrive pas à penser à autre chose qu’aux œufs.

R : (rires)

C : J’ai beaucoup aimé les œufs cette année. Je n’avais pas l’habitude d’en manger, mais j’ai réussi à les aimer à leur juste valeur.

R : C’est quoi tes œufs préférés ?

C : Les œufs durs. Ca a toujours sa place dans un sandwich. Ouais. Les œufs durs rockent ma vie.

On parlait politique il y a quelques minutes, maintenant on débat sur les œufs. Plutôt conceptuel.

C : Bienvenue chez Enter Shikari !

R : Je pense que ça ne sera pas les œufs pour moi… J’avais vraiment besoin d’air frais cette année, alors je dirais l’air frais.

C : Tu t’es bien aéré l’esprit à Noël aussi.

R : Ouais, Noël est toujours revigorant. Ca fonctionne comme réponse ?

Je suppose !

R : Ok, cool. (rires)

Et bien, on a fini. Merci encore pour votre temps !

R : Merci à toi !

C : Merci, c’était cool de te voir.

 

 

Site web : entershikari.com