En promotion à Paris, RockUrLife en a eu le plaisir de rencontrer Staif Bihl, guitariste, chanteur et membre fondateur du groupe marseillais Eths. L’occasion d’évoquer les différents aspects du dernier album “Ankaa”, disponible depuis le 22 avril. Entretien riche en confidences.
Comment vas-tu Staif ? Quel est ton état d’esprit par rapport à la sortie de l’album ?
Staif Bihl (guitare/chant) : Ça va très bien, l’album est bien accueilli pour l’instant, donc c’est plutôt cool. On a une série de concerts là donc c’est sympa.
Oui hier soir vous étiez en Belgique, comment ça s’est passé ?
Staif : Ah les Belges ! C’est une vieille histoire d’amour. Depuis le tout début on joue là-bas et on a toujours eu un super feeling. Notre musique leur plaît.
Comment se portent les anciens membres du groupe, en particulier Candice ?
Staif : Ils vont très bien. Candice et Greg, je les ai régulièrement au téléphone et ça va bien. Ils sont contents de leur nouvelle vie.
Ont-ils eu l’occasion d’écouter le nouvel album ?
Staif : Je les ai pas eu récemment, je n’arrête pas ces derniers temps, mais de toutes les façons je compte bien leur envoyer s’ils ne l’ont pas déjà écouté.
Tu as entièrement produit l’album, cette fois. Comment ça s’est passé ?
Staif : Ça s’est fait assez logiquement, déjà j’ai tout composé, tous les titres. A l’époque déjà quand il y avait encore Candice et Greg, c’est moi qui composait pratiquement tout mais on partageait vachement : je faisais les morceaux et souvent on les écoutait “qu’est que t’en penses etc ?”. Il y avait cette osmose qui faisait que, tout ce que je leur faisait écouter en général, ils trouvaient ça génial, et là vu qu’ils étaient plus là c’était trop compliqué pour moi, je pense, d’impliquer les autres qui étaient arrivés que fraîchement, et qui avait pas encore forcément, on va dire, le truc “Eths” dans la tête, alors que moi je l’avais vraiment. Et j’avais envie d’aller dans plein d’endroits, donc ça s’est fait via cela. C’est-à-dire qu’ayant déjà tout composé, j’avais une idée assez précise, comme sur tous les albums précédents, donc j’étais content des résultats à chaque fois, mais je ne peux pas cacher qu’il y avait toujours un petit décalage, en tout cas par rapport à l’idée que je m’en faisais. Donc j’avais envie d’approfondir, et ça fait quand même des années que je fais du son, j’ai toujours mis mon nez dans toutes les productions de Eths, même si je n’étais pas crédité, ce n’est pas moi qui faisais tout, je donnais toujours mon avis et je discutais toujours avec les producteurs et même avec Nordstrom qui est le tonton quoi ! J’osais limite pas et c’est lui est venu me piquer. ll y avait aussi cette envie de montrer une autre facette de ce que je peux faire.
Comment as-tu choisi le titre “Ankaa” pour cet album ?
Staif : C’est dur à dire, c’est un peu comme le reste, ça n’a pas vraiment été prémédité, ça s’est un peu imposé. Moi, je suis un passionné d’étoiles et, comme on peut le voir, de civilisations anciennes, de divinités etc. Et un jour, je suis tombé par hasard sur ça, parce que souvent, quand je regarde les étoiles j’ai une application, je les connais pas toutes quand même, et je suis tombé sur ce mot et il m’a flashé. Je marche vachement comme ça, à l’intuition, au feeling, et j’ai un petit truc où je note des titres, des thèmes, et ça s’est après imposé, à peu près à mi-chemin de la composition de l’album, je me suis dit c’est un bon titre, parce qu’il y a cette signification par rapport au groupe, mais c’est un truc avant tout personnel, c’était dur au-delà du groupe personnellement, et puis quelque chose de plus global aussi, comment dire, peut-être une renaissance nécessaire à mon sens aujourd’hui dans notre civilisation.
Cet album, on l’a vraiment vécu comme un film. On se croirait perdu dans un monastère voire dans une pyramide. De quoi t’es-tu nourris pour nous créer ces sons et cette ambiance ?
Staif : C’est génial que tu dises ça car c’est vraiment ce que je voulais transmettre. J’ai toujours eu cette façon, c’est assez paradoxal mais, pour moi les sons sont un peu comme des images en tête. Je compose comme on pourrait peindre une toile. Et j’ai toujours était passionné d’Égypte ancienne depuis toujours, de mythologie, avec Candice aussi on partageait aussi ce truc-là, on en parlait tout le temps. Et là, j’ai voulu aller encore plus loin et puis aussi, depuis toujours je compose plein d’autres choses à côté de Eths. On m’a toujours dit “ce que tu fais ça fait vraiment film, film, film” et j’ai voulu vraiment pousser le truc sur cet album, en me disant cette fois c’est l’occasion ou jamais, il faut se faire plaisir. Donc c’était une façon d’amener un truc plus sensible et plus pictural, et c’est vraiment cool que tu l’aies senti comme ça parce que, c’est ce que je voulais faire passer.
On retrouve des guests dans cet album : qui sont-ils et pourquoi avoir fait appel à eux ?
Staif : Avant tout, Dirk Verbeuren qui a fait toutes les batteries. Donc lui, c’est grâce à Frank de Dagoba, qui est un collègue, on habite dans la même ville. Je l’ai appelé en premier, il m’a dit l’album est vraiment bien mais je pense que tu devrais faire appel à quelqu’un comme Dirk. Je n’aurais pas osé je pense, s’il ne m’avait pas dit de le faire. Et donc j’ai contacté Dirk : je lui ai envoyé trois premiers morceaux, et il a adoré. Il m’a dit “je trouve ça vraiment bien”. Dirk c’est vraiment un artiste complet, il est incroyable, et donc il a vraiment amené un truc en plus. Derrière, il y a Faustine Berardo, qui m’a aidé à écrire troi titres, qui est une amie de longue date. On a aussi fait un projet ensemble à côté, et donc je trouvais qu’elle écrivait vachement bien, et vu que j’ai fait tous les textes, il y a dix titres, il faut être lucide j’aurais pas pu tout faire. Pendant que je composais, je savais de quoi j’allais parler, comment j’allais l’appeler, mais il fallait encore trouver la forme et c’est en ça que je me suis dit que Faustine allait vraiment m’aider, m’alléger aussi le travail. Il fallait de l’implication et elle a su amener ce truc, et en plus c’était des sujets où j’avais ces images mais j’arrivais pas forcément à les mettre en mot. Et Sarah Layssac qui fait toutes les parties orientales mais aussi beaucoup de chant clair, tout au long de l’album, sur “Nefas” c’est elle qui fait les choeurs, sur “Amaterasu”, c’est elle qui fait les refrains, sur “Kumari Kandam” c’est elle aussi. Il nous fallait une chanteuse d’exception, et j’avais envie de ce truc oriental qui me touche particulièrement.
(ndlr : le chanteur Björn Strid, du groupe Soilwork a posé sa voix sur le titre “HAR1” et Jon Howard de Thread Signal a également collaboré sur cet album)
A ce sujet : on retrouve des passages électro et des tonalités orientales, on a l’impression que c’est un peu à la mode en ce moment avec des groupes comme Acyl. Qu’est-ce qui t’a donné envie ou inspiré pour ce mélange des genres ?
Staif : Oui tout le monde en a parlé et c’est assez fou mais on a fait juste une date avec le groupe Acyl à Paris, et moi j’ai découvert Myrath parce que Sarah m’en a parlé il y a deux-trois semaines. C’est pas vraiment un truc que je connais, je trouve que ce qu’ils font est très bien mais vraiment je n’étais pas au courant qu’il y avait un courant aussi porteur dedans. Mais par contre c’était une envie que j’avais et je comprends que d’autres l’aient fait. Avant, je l’avais amené par d’autres façons déjà avec Candice, mais Sarah elle a vraiment ce truc authentique, qui fait que, tout de suite ça marche. J’avais mis des plans sur “Tératologie” (ndlr : deuxième album du groupe sorti en 2007), donc j’ai toujours aimé ce truc-là mais d’aller plus loin au niveau de la voix, c’était justement assez jouissif parce que Sarah, elle est tellement douée : elle fait une première prise, c’est génial, on essaye à nouveau, c’est encore mieux. Du coup, c’est du bonheur de travailler comme ça. Et l’électro… j’aime beaucoup l’électro depuis toujours, j’ai toujours été un gros fan de trip hop, et j’aime beaucoup les nouveaux courants électro, certains trap et tout ça, qui sont certains confidentiels, d’autres moins. Je trouve qu’il y a une fougue, un truc qui peut être violent et novateur. Je trouve que le metal devient consensuel, pas tous les groupes, mais il y a un truc qui s’est installé, il y a une prod qui est toujours un peu la même, toujours le même format, le refrain sera forcement chanté etc. Et j’avais envie de sortir de tout ces codes.
Beaucoup de titres compliqués : on retrouve du latin comme à son habitude. Est-ce toi qui a été traumatisé par les cours de latin ? (rires)
Staif : Non (rires) je ne sais pas. Les langues mortes, c’est vrai que ça nous faisait plaisir déjà avec Candice et je l’ai gardé, pas pour dire c’est Eths mais parce que ça me plaît aussi. Ce qu’on aime aussi c’est cette façon de détourner, que d’appeler le truc “souffrance”, on l’a fait au début. Par exemple “Nefas” c’est ça : on l’aurait appelé “Pêché”, c’était bizarre. Sur cet album, j’ai essayé aussi d’aller ailleurs, “Kumari” qui est plus sur l’Inde, “Amaterasu” le Japon, “Sekhetaru” sur l’Egypte.
On a des références à des divinités et des territoires sacrés. D’où te vient cette touche culturelle ?
Staif : Parce que ça me passionne, limite ça m’obsède, les civilisations disparues, les mythes et tout. Je pense qu’il y a beaucoup de réalité la dedans. Je pense vraiment qu’il y a eu des choses dont on a perdu la trace aujourd’hui et du coup, je me tiens vraiment informé sur ça : à la fois sur les avancées scientifiques, sur la recherche spatiale et astronomique, mais aussi sur l’archéologie, et on se rend compte que, ce qu’on appelle l’archéologie interdite depuis trente ans, il y a des archéologues qui disent “mais non avant le néolithique on a des temples, on a des choses”, et on les traite de fous. Et aujourd’hui on commence à découvrir [ces choses]. Je pense notamment à Gobekli Tepe, qui a été découvert en 1998, personne n’aurait cru ça mais oui on a un temple qui date de -12000 ans. Je pense qu’il y a vraiment des choses mais on ne les voit pas ou on ne veut pas les voir. Il y a cette espèce de savoir perdu qui me passionne, c’est pour ça que j’avais envie de rentrer dans tous ces sujets et de les exposer.
Eths est vraiment le groupe avec lequel on enrichit sa culture générale !
Staif : Oui c’est marrant (rires), les autres membres du groupe, quand je leur ai envoyé les morceaux ils m’ont dit “apprend la langue française avec Eths”. (rires) Et c’est vrai, encore plus qu’avant, comme j’avais les titres en premier. Pour moi, chaque titre donne une lecture assez claire du texte qui derrière n’est pas toujours explicite, mais le titre est quand même une bonne clé à chaque fois pour comprendre où je veux en venir.
Les trois derniers morceaux de l’album forment un trio, “Alnitak”, “Alnilam” et “Mintaka” qui sont à l’origine les trois étoiles supergéantes bleues qui forment la ceinture d’Orion. Quelle est l’histoire derrière ces morceaux ?
Staif : À la base, c’est un seul et même titre et c’est un des tout premiers que j’ai composé pour cet album : les morceaux les moins metal ont été composé en premier et je me suis régalé à faire ce truc, mélange des genres allant sur l’acoustique, l’électro, le metal et de tout mixer comme ça. Et donc l’idée de le couper en trois, est venue du fait qu’il était long, je me suis dit que ça pouvait être sympa. J’ai toujours eu cette envie de le faire et là j’en avais enfin l’occasion. Et pourquoi ce nom, parce que c’est la ceinture d’Orion, et donc on revient aux anciennes civilisations, car c’est un truc qui revient souvent dans les pyramides etc. Et je me dis que, si c’est un truc qui fascine autant les peuples depuis si longtemps, c’est qu’il y a quelque chose derrière. Il y a également la fameuse pépinière d’étoiles qui se trouve derrière Orion, où naissent les étoiles. Cette constellation me fascine, je peux passer des heures comme ça la nuit à la regarder. (rires)
On en a un peu moins parlé car c’est presque passé inaperçu avec l’arrivée de Rachel : l’arrivée de votre nouveau batteur RUL en 2015. Donc au final, raconte-nous l’enregistrement batterie, car on sait qu’il a eu un remplaçant.
Staif : Il n’a fait aucune partie du coup, c’est vraiment Dirk qui a tout fait, car RUL est vraiment arrivé après. On venait de le recruter quand je venais de recevoir les batteries de Dirk pour tout te dire.
Du coup, comment s’est porté votre choix sur lui ?
Staif : À la base, j’avais contacté Nicolas Bastos (ndlr : Esprit Du Clan, Deep In Hate) pour intégrer le groupe sur conseils de Guillaume Dupré (ndlr : connu sous le pseudo de YOM), notre ancien batteur : on s’est dit on en reste là comme avec Greg et Candice, on est resté très amis. Il m’a dit, je verrais bien Bastos pour me remplacer. Je l’ai appelé, il a écouté l’album et il m’a dit honnêtement, c’est cool mais ce n’est pas ma came mais par contre je connais un petit jeune qui envoie sévère. Et donc j’ai rencontré RUL et j’ai trouvé ça super bien ce qu’il faisait. Il s’est intégré à merveille.
Pour Rachel également, on imagine que ça n’a pas été facile pour elle : intégrer en tête d’affiche un groupe qui existe depuis des années pour remplacer Candice qui était très aimée. Comment s’est passé son intégration ?
Staif : C’était forcément compliqué, mais en même temps, elle a un truc dans la voix, les deux sont différentes, donc c’est ça qui est bien. Comme tu le dis, Candice avait un charisme fantastique qui, je pense, peu de personnes ont. Rachel par contre a vraiment une voix, techniquement elle arrive à faire des trucs incroyables, elle a un super range au niveau du cri, donc on a un peu exploité d’autres trucs. C’est vrai qu’avec Rachel j’ai pu aller plus loin en terme de production sur les cris que ce qu’on pouvait faire avec Candice car elle a plus de capacités, donc chacune à sa spécificité. Mais là encore on travaille beaucoup sur la scène, sur la confiance, parce que, non seulement elle passe après Candice, mais le groupe étant à un certain niveau, il y a une grande attente du public, et surtout de moi (rires) : je suis très perfectionniste.
C’est vrai que le seul point négatif soulevé précédemment est le fait qu’on ait du mal à distinguer les paroles par rapport aux précédents albums, au niveau du mixage. Comment expliques-tu cela ?
Staif : C’est vrai que c’est un parti pris je l’avoue, je voulais un mix plus à l’anglaise, à l’américaine, qu’il y ait une unité, et pas comme ça a pu l’être par le passé où la voix était vraiment au dessus de l’instrumental. Donc comme tu dis, le problème c’est que l’on va moins comprendre le texte mais pour moi, c’était à une fin musicale, pour ne pas “starifier” la voix uniquement. Dans l’ensemble, la voix devient un instrument comme un autre. En tout cas pour moi c’est ce qu’il fallait pour cet album.
À quand la prochaine vidéo ?
Staif : C’est pour dans pas longtemps, c’est en montage actuellement et ça sera “Nihil Sine Causa”.
Les prochaines dates ?
Staif : Des festivals, pas beaucoup on en fait juste trois. Le Hellfest, on y sera mais pas pour jouer, Rachel et moi allons juste y faire un tour et de la promo. On l’a déjà fait l’année dernière, donc on espère l’année prochaine. Et puis à la rentrée, on va beaucoup tourner en France et à l’étranger.
Est-ce que tu as quelques groupes à nous conseiller en ce moment ?
Staif : Ce ne sont pas des trucs metal, comme je le dis souvent, j’en écoute moins parce que souvent, il n’y en a pas beaucoup où il y a ce truc. Je trouve que c’est toujours un peu la même chose. Dans l’électro, il y a plein de choses vraiment novatrices : il y a Glass Animals que j’aime beaucoup, et en metal, l’album est un peu vieux mais je l’ai découvert il y a pas longtemps, c’est l’album solo de Head de Korn, je me suis pris une bonne claque quand même, je suis un vieux fan de Korn. Et j’écoute beaucoup de funk aussi, de la vieille funk avec de la soul.
Question traditionnelle propre à notre webzine : qu’est-ce qui rock ta life ?
Staif : Le groupe forcément et ma famille parce que ça nourrit et ça t’aide à tenir dans les moments difficiles : plus on vieillit et plus on comprend l’importance de ça. Et surtout la musique, Eths ou pas Eths, ce qui me plaît c’est de créer donc j’ai vraiment envie de continuer à créer dans plein de styles et projets différents, donc j’ai hâte que Eths me laisse un peu de temps pour faire d’autres trucs à côté.
Site web : eths.net