InterviewsSlideshow

HANGMAN’S CHAIR (31/01/25)

Hangman’s Chair est l’un des groupes les plus marquants de la scène doom/sludge française. Avec son univers sombre et mélancolique, le quatuor parisien n’a cessé d’affiner son identité sonore, oscillant entre lourdeur hypnotique et envolées atmosphériques. Après A Loner (2022), un album introspectif qui marquait un tournant dans sa carrière avec sa signature chez Nuclear Blast, le groupe revient en 2025 avec Saddiction. Un disque qui prolonge ses explorations sonores en mêlant passages éthérés et riffs massifs, dans une continuité assumée avec son précédent album.

A la première écoute on sent qu’il y a un vrai travail sur les passages plus éthérés, la gestion du silence, les nuances. Ça commence d’aillleurs avec le premier morceau qui prend de plus en plus d’ampleur avant de s’arrêter net au bout d’une minute et quelques. Le silence arrive avant une tension qui ne fera que monter.

Julien Chanut (guitare) : Quand on crée de la lumière, il faut de la lumière. Ce morceau-là a été écrit pour être le premier morceau, parce que souvent, on a deux trucs. On sait quel morceau va commencer le band, quel morceau va le terminer. Du coup, ce morceau-là a été vraiment conçu pour être le premier. Et en plus, il y a un petit lien avec le dernier morceau de A Loner “The Thousand Miles Away”, qui termine aussi un peu comme ça, avec un riff en split. On ne le fait pas souvent, donc c’est assez remarquable. On voulait que ça commence de la même façon, qu’il y ait vraiment un lien. Notre ADN, c’est justement de faire ces contrastes, de jouer avec les contrastes. Donc une intro super intense, comme ça, et un truc qui coupe direct, sans rien. C’était assez voulu.

Cet album s’inscrirait dans une trilogie dont A Loner serait le premier chapitre. Est-ce que vous avez déjà cette idée en tête quand vous avez composé A Loner ?

Julien : On savait juste que A Loner ouvrait un nouveau chapitre. Avant ça, on avait une autre trilogie avec Octobre, This Is Not Supposed To Be Positive et Banlieue Triste. C’est après coup qu’on a réalisé leur cohérence : même atmosphère, même artiste pour les pochettes (Dave Decat). Avec A Loner, on voulait amorcer un changement, notamment au niveau du son et de l’esthétique. Il y avait aussi la signature avec Nuclear Blast. Il y a eu toute cette période de confinement où on a composé à distance, ce qu’on n’avait jamais fait auparavant. Fatalement, les morceaux étaient différents, puisqu’on ne travaillait plus ensemble régulièrement. C’était vraiment une approche nouvelle par rapport à tout ce qu’on avait fait avant. On sentait qu’on entrait dans quelque chose de neuf. Avec Saddiction, c’est clairement dans la continuité de A Loner, notamment sur les expérimentations qu’on y avait tentées. Comme tu le disais tout à l’heure, il y a ces passages éthérés, qu’on a explorés davantage sur A Loner. Là, avec Saddiction, on les a conservés, mais on est aussi revenus à des parties plus lourdes, plus massives, comme sur Banlieue Triste. C’est vraiment un mélange des deux approches. Est-ce qu’il y aura un troisième album dans cette trilogie ? Je ne sais pas. Mais A Loner a clairement ouvert un nouveau chapitre.

Ça se ressent aussi dans le travail de la voix, notamment sur “In Disguise”. On ne t’avait jamais entendu avec autant de nuances. Il y a une douceur qui véhicule plein d’émotions différentes, entre mélancolie et tension. En plus, la voix est mixée différemment et elle ressort mieux. Mais c’est personnel, on aime quand c’est un peu mis en avant. C’était un travail particulier pour toi ?

Cédric Toufouti (chant/guitare) : Pour moi, c’était très particulier, puisque tout va ensemble, en fait. Sur cet album Julien utilise un nouvel instrument, une basse 6. C’est un instrument hybride, entre la basse et la guitare, qui apporte un son plus lourd. Mais ça m’a obligé à changer d’accordage, ce qui a aussi modifié ma façon de chanter. Je me retrouve à devoir monter plus souvent dans les aigus, sur des durées plus longues. C’est plus difficile à maîtriser, il y a encore du travail, mais ça amène une autre intensité dans la voix. Ça crée plus de tension sur certains riffs, et ça m’a permis d’explorer une palette que je n’avais pas avant. Avant, j’alternais entre un chant plus posé et quelques passages tendus ponctuellement. Là, je peux maintenir cette tension tout au long d’un morceau. C’était important pour nous, déjà pour nous challenger, mais aussi pour apporter quelque chose de nouveau à cet album. Je pense que ce que tu ressens sur “In Disguise” vient aussi du contraste avec les autres morceaux. Comme certains sont plus tendus, quand je reviens à une interprétation plus naturelle, ça semble encore plus doux en comparaison. C’est encore une question de contrastes.

© Andy Julia


C’est sûr. Et c’est là qu’on voit l’importance de l’enchaînement des morceaux. Sur “Neglect”, par exemple, cette intro qui prend son temps paraît encore plus subtile grâce à ce qui la précède. On sent qu’il y a eu un vrai travail sur l’ordre des morceaux, sur l’histoire que vous racontez à travers eux.

Julien : Oui, on sait toujours quel morceau va ouvrir et lequel va conclure l’album. Ensuite, il faut assembler le reste comme un puzzle, trouver la bonne progression, raconter une histoire. On essaie de créer des vagues, des rappels. C’est un processus super intéressant pour nous, parce que c’est un peu comme réaliser un film.

Et cette narration passe aussi par les mots, par les textes, ne serait-ce qu’avec les titres des morceaux. L’album se termine sur “Healed”, un titre qui, au premier abord, sonne comme une affirmation. Mais dès qu’on écoute le morceau, on comprend que c’est plutôt une interrogation. C’est très fort de conclure un album aussi dense émotionnellement par ce mot. C’était un choix délibéré ?

Julien : Oui, complètement. “Healed” aurait même pu être le titre de l’album. J’ai hésité entre les deux. Ce mot résume bien la thématique de l’album, qui prolonge celle de A Loner. On y parlait de dépression, de repli sur soi, du besoin de s’isoler pour tenter de guérir. Terminer sur “Healed”, c’est poser la question : est-ce qu’on est vraiment guéri ? Ou est-ce qu’on se voile la face ? Parce qu’une fois que cette porte est ouverte, elle ne se referme jamais complètement. On porte toujours ça en nous. C’est aussi une forme d’acceptation : reconnaître que c’est là et qu’il faut avancer avec. Mais il y a aussi cette impression de revenir toujours au même point.

C’est pour ça que le morceau est si fort. Il reflète bien ce questionnement, cette lutte intérieure. Et finalement, il ouvre aussi la porte à un nouveau chapitre.

Julien : Oui, mais pour l’instant, il est trop tôt pour en parler. Cet album doit vivre. On verra plus tard si la magie opère à nouveau et si on ressent le besoin de faire un autre disque. Mais c’est cool de voir que les nuances sont perçues.

C’est ce qu’on aime avec un bel album : il nous habite, et on se demande où il va nous emmener ensuite. Une phrase nous a marquée dans les textes, c’est “full of hollow“.

Cédric :  C’est une expression qu’on utilise souvent. Cette sensation d’être rempli de vide.

Julien : C’est une image puissante, qui reflète bien l’atmosphère de l’album. Toujours cette dualité : être seul au milieu de la foule, être empli de rien. Ceux qui ont déjà ressenti ça comprendront, surtout en écoutant un peu de musique dépressive.

Cédric : C’est une petite phrase qui résume beaucoup de choses.


Aujourd’hui, la musique passe aussi beaucoup par le visuel, surtout dans votre scène où il y a une vraie attente à ce niveau-là. Vous avez toujours sorti des clips qui marquent et qui font parler. Il y avait donc une certaine attente autour de ce que vous alliez proposer cette fois. Et vous avez su y répondre. Le clip de “Kowloon Lights”, par exemple, est vraiment… particulier, unique.

Julien : Oui, c’est la première fois qu’on fait ça. C’est Dehn Sora qui a réalisé le clip, c’est lui qui avait aussi conçu la pochette de A Loner. À l’époque, on voulait déjà travailler avec lui sur un clip, mais il n’avait pas le temps. On s’était dit qu’on le ferait sur un prochain album, et là, on a directement fait appel à lui. L’idée était qu’il s’imprègne de l’image du bâtiment sur la pochette, de cette masse sombre avec des lumières allumées dans certains appartements. Il ne s’est pas directement inspiré de ça, mais quand il m’a expliqué son approche, il m’a dit : “Dans chaque appartement, il peut se passer quelque chose.” Ça m’a tout de suite fait penser à Enter The Void de Gaspar Noé, avec cette caméra qui survole les immeubles et montre ce qui se passe dans chaque pièce, où il se passe toujours quelque chose de fou. J’ai suggéré à Dan qu’on parte sur cette idée : plusieurs vies, des histoires différentes à chaque fois.

Kowloon est connue comme la ville la plus densément peuplée au monde, on en a cette image forte avec toutes les lumières de cette ville dans une rue. On retrouve cette image de lumières omniprésentes et de vies entremêlées.

Julien : Exactement, il y a un imaginaire urbain qui colle bien à la société d’aujourd’hui.

Ce qui fonctionne bien, c’est cette immersion dans la ville avant de plonger dans des fragments de vies individuelles. Et visuellement, il y a une esthétique nouvelle, très marquante.

Julien : D’habitude, on filme en prise de vue réelle, et là, c’est entièrement numérique. C’était un cap à passer, mais on avait totalement confiance en Dehn Sora. On savait où on allait, même si c’était un terrain un peu nouveau pour nous. C’est un peu comme quand on décide de moderniser un monstre comme King Kong : il faut vivre avec son temps.


Depuis plusieurs albums, vous recevez des critiques très positives et vous travaillez avec des artistes marquants pour l’aspect visuel. Vous avez un vrai attrait pour la scène underground, mais sans jamais vraiment franchir le cap du succès grand public. Même si vous êtes programmés sur des festivals, est-ce que c’est une frustration pour vous ?

Julien : Franchement, je le dis souvent, mais le succès, c’est pouvoir continuer. À 45 ans, faire des albums avec mes amis d’enfance, c’est déjà une victoire. Si on avait dû exploser, ça serait arrivé depuis longtemps. Aujourd’hui, tout ce qui vient en plus, c’est du bonus. On a joué dans des squats, dans des camions, pendant des années. Maintenant, on dort dans des vrais lits en tournée ! Certains groupes explosent directement et ne passent pas par ces étapes. Nous, on savoure ce qu’on vit aujourd’hui. On ne vit pas encore complètement de notre musique, mais on en vit presque, et c’est déjà un luxe. Je serais malhonnête si je disais que je n’aurais pas aimé jouer dans certaines salles en tête d’affiche avec la certitude qu’elles soient pleines. Mais ce n’est pas un regret, juste une petite frustration avec laquelle on vit très bien. Ce qui compte, c’est de continuer à sortir des albums dont on est fiers, de faire des concerts intenses. Je n’ai pas le souvenir qu’on ait raté un live, et cette constance, c’est important.

Cédric : On a aussi la liberté de faire ce qu’on veut. Quand on a signé chez Nuclear Blast, ils n’ont jamais cherché à nous imposer quoi que ce soit. Ils nous ont signés pour ce qu’on est, pas pour nous modeler. Bien sûr, on a toujours envie d’aller plus loin, mais honnêtement, je suis déjà très heureux avec ce qu’on a.

Vous êtes aussi des gens d’habitude. Vous travaillez toujours avec Francis Caste. Avez-vous envisagé un jour de changer ?

Cédric : C’est lui qui nous dit parfois : “Bon, les gars, vous devriez essayer autre chose !

Julien : On aime notre studio, notre équipe. On est à Paris, on a nos habitudes. Francis nous connaît par cœur, il n’y a pas besoin d’expliquer. Le studio, c’est toujours un moment de stress et d’angoisse. Il faut une personne de confiance pour instaurer un climat serein. Et on sait qu’avec lui, ça se passera bien.

Même après 20 ans, le studio reste un moment stressant ?

Julien : Toujours. On ne sait jamais ce qui peut arriver. En concert aussi, d’ailleurs. C’est tellement personnel qu’on ne peut pas s’empêcher de s’impliquer à fond, d’être angoissé. Mais c’est ce qui rend ça vital. Un album, il faut qu’il soit comme on l’imagine. Et c’est encore pire quand on manque de temps ou qu’on ne se sent pas à l’aise avec l’ingé son.

Certains aiment sortir de leur zone de confort.

Julien : Oui, je comprends ceux qui veulent enregistrer dans une ferme paumée, enfermés ensemble pendant deux semaines. Pourquoi pas, un jour. Mais aujourd’hui, à notre âge, ce qui me plaît, c’est de bosser en studio la journée et rentrer chez moi le soir pour me vider la tête. Le lendemain, j’ai les oreilles fraîches. J’aime cette manière de travailler.

© Andy Julia


En studio, il y a le droit à l’erreur. En live, c’est autre chose : il faut être totalement connecté, créer une alchimie, être à l’écoute. avec vos évolutions personnelles, le fait de ne plus habiter tous au même endroit, est-ce que ça a changé cette dynamique ?

Julien : On travaille énormément sur le son en live, pour être les plus carrés possible et pouvoir se laisser porter par l’énergie du concert. Depuis que Mehdi a déménagé, on a dû s’adapter. Avant, on répétait deux fois par semaine. C’est comme courir un marathon tous les week-ends et s’arrêter pendant six mois : quand on reprend, c’est plus dur.

Cédric : Il faut retrouver une nouvelle routine pour être toujours au meilleur niveau. L’échange qu’on avait en répète faisait partie de notre force, donc il faut le maintenir, même autrement.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Julien : Les concerts. La première partie de la tournée démarre en mars, avec une dizaine de dates en France, jusqu’au Motocultor. Ensuite, d’autres dates viendront.

L’album sort le 14 février, hasard du calendrier ou choix ?

Julien : On nous a proposé plusieurs vendredis et on a choisi cette date.

Cédric : Et In Disguise est sorti le jour du Blue Monday. Un clin d’œil à l’ambiance de l’album.

Notre média s’appelle RockUrLife. Donc dernière question : qu’est-ce qui rock votre life ?

Julien : Le groupe. Toute ma vie, elle est régie par ça. On a 45 ans, ça fait 20 ans qu’on existe, ça fait presque la moitié de ma vie que je pense Hangman’s Chair du matin au soir.

Cédric : Voilà. Il y a rien d’autre qui se passe dans ma vie. C’est très dur de dire la même chose, mais c’est vrai que la musique, oui, la musique, ça prend de la place. C’est quand même le truc qui me fait bouger le plus depuis ces 44 ans. On travaille pour ça, tout notre argent qui passe, ça passe là-dedans. Le matériel, la guitare…

Julien : Dès que je regarde un film, je me dis, si il y a une phrase, ça va pouvoir me servir pour un truc. Tu vois, tout est relié.

© Andy Julia


Site web : hangmanschair.myshopify.com

Ecrire un commentaire

Marion Dupont
Engagée dans la lutte contre le changement climatique le jour, passionnée de Rock et de Metal le soir !