Highly Suspect revient sur le devant de la scène avec “MCID”, un album qui transcende les genres et divise la critique. De passage en France la veille de leur concert au Nouveau Casino, les trois membres fondateurs du groupe partagent leurs visions du disque.
Le nouvel album “MCID” contient de nombreux rythmes électroniques. Ryan, as-tu participé à la composition de ces beats ? Tu ne t’es pas ennuyé pendant le processus d’enregistrement ?
Ryan Meyer (batterie/chant) : En fait, j’étais en phase de rupture. J’ai été impliqué dans les premières étapes, la création. Quand nous sommes arrivés à New York pour enregistrer, j’ai fini ma partie en une semaine. Puis je suis parti, je devais gérer ce que je vivais. J’aime jouer les nouveaux trucs comme “Freakstreets” par exemple. Johnny a composé toute la partie batterie. J’ai dû l’apprendre quand j’étais en studio. Cela m’a permis de devenir un meilleur batteur car il est allé hors des sentiers battus. Il a créé des partitions auxquelles je n’aurai jamais pensé.
Tu pourrais tout jouer en live ou il y aura des bandes sons ?
Ryan : Oui, je joue tout en live sauf “Fly”. C’est une chanson personnelle. Johnny l’a fait sous les projecteurs.
L’album commence par ce morceau “Fly”, une chanson très personnelle qui traite de la maladie mentale. C’est une décision audacieuse de commencer l’album avec une telle chanson. Il donne un ton sombre au reste de l’ensemble. Comment avez-vous réagi quand vous l’avez entendue pour la première fois ?
Ryan : Quand j’ai entendu la chanson pour la première fois, j’ai pleuré. Johnny a toujours été un peu fou et il le sait. J’ai toujours voulu qu’il commence à prendre soin de lui, à réparer les choses qui ne vont pas, pour qu’il aille mieux. Si tu es alcoolique, la première étape consiste à reconnaître que tu es alcoolique. J’étais content de l’entendre dire ce qu’il disait. C’est une façon pour lui de prendre le public à témoin. C’était thérapeutique.
(ndlr : Rich entre dans la pièce et s’installe)
Rich, tu as composé “Arizona”. Le titre est dépouillé d’un point de vue musical pour laisser toute la place à ton interprétation. Peux-tu nous parler du morceau ?
Rich Meyer (basse/voix) : Il est difficile de maintenir des relations quand on voyage beaucoup. Comment maintenir une relation lorsque vous n’êtes jamais là ? Ça s’appelle Arizona parce que j’étais là quand j’ai commencé à l’écrire. C’est ouvert à l’interprétation, ce n’est pas un scénario spécifique.
Ryan : C’est difficile, ma relation a échoué.
Rich : La mienne aussi !
Ryan : Tu sais ce qui est dur aussi ? Essayer d’enregistrer un album tout en rompant avec quelqu’un. Ma relation échouait et j’essayais de la réparer. Évidemment, si vous devez travailler très dur pour réparer une relation, c’est qu’elle est morte. Mais j’essayais de la réparer tout en étant en studio. Avoir des disputes avec elle, du stress dans ma tête, puis essayer d’être créatif et de jouer avec un pistolet sur la tempe. Le studio coûte très cher, nous avions un certain temps avec le producteur. Il y avait beaucoup de pression. C’était trop. C’est pour ça que j’ai dû partir une fois l’enregistrement terminé.
Alors, qu’as-tu fait pour relâcher toute cette pression ?
Ryan : Je suis retourné à Los Angeles. Nous avons rompu et j’ai pris un avion pour aller à Hawaï. Je suis resté chez mon ami. Il avait une pièce supplémentaire et une moto qu’il n’utilisait pas. J’ai conduit une moto à pleine vitesse sans casque à Hawaï. Des larmes coulaient de mes yeux. Complètement fou. (rires)
Je pense que ça a marché. C’était mon anniversaire et j’avais des amis, mais ils devaient tous travailler. J’étais seul, dans un étrange et bel endroit tropical, sur une moto très rapide. Pas de casque, juste des lunettes de soleil. Quand j’étais à pleine vitesse, je me sentais bien, puis je ralentissais et c’était à nouveau difficile.
Peut-être qu’il y a une chanson à composer à partir de cette histoire ?
Ryan : Peut-être oui. L’art est l’expression de ce que l’on vit. Le problème est que je ne peux pas composer de bonnes mélodies et écrire de bonnes paroles.
Rich : Mais tu aimes fredonner !
Ryan : Oui, mais je chante faux. (rires) Quand on arrive au refrain, l’émotion est forte et j’y suis tellement à fond. Je fais plein de bruits étranges que je n’entends généralement pas parce que les tambours sont forts. L’autre jour, j’ai pris une GoPro et j’ai mis les sangles autour de ma poitrine. Il y a un microphone dedans et il était placé au niveau de mon torse. La seule chose que j’ai entendue, de manière audible et claire, c’est que je fais des bruits de bourdonnement étranges. (rires)
“MCID” est un album cross-genres. Est-ce quelque chose qui est venue naturellement ou était-ce comme une direction intentionnelle ?
Rich : Je dirais que c’était très naturel. Nous avons toujours voulu faire ce genre de musique. Ne pas se limiter à un genre. Nous avons fait ce qui nous semblait cool et que nous aimions. C’est la seule raison pour laquelle nous avons enregistré ce disque. Pas parce que cela correspond à un style de musique. Les deux derniers albums essayaient de maintenir une sorte de congruence. Pour ce disque, nous nous sommes dit : “Allez-vous faire voir, on va faire ce qu’on aime !”.
C’est ce que semble faire la nouvelle génération. Des artistes comme Post Malone font de la musique rock comme du rap.
Rich : Oui, et il est génial !
Ryan : Bring Me The Horizon a un nouvel album avec Grimes. La musique est un art qui vous fait ressentir une émotion. Les gens comptent sur vous pour faire une certaine émotion. Ils deviennent fous quand on ne leur donne plus ça. Ils n’acceptent pas que vous progressiez en tant qu’être humain, et c’est ce que fait l’être humain. Il évolue.
(ndlr : Johnny rejoint le reste du groupe)
C’était très naturel de vous entendre évoluer et inclure des sons hip hop. Cela donne aussi l’opportunité à Johnny. C’est intéressant sur le plan musical et ça te donne aussi plus de mots pour t’exprimer. Quand as-tu commencé à écrire des chansons hip hop ?
Johnny Stevens (chant/guitare) : Quand j’étais adolescent, il y a longtemps. J’ai écouté du hip hop toute ma vie. On n’est plus en 1950. Le hip hop est né du rock n’roll, le rock n’roll est né de la musique noire, du blues. Le hip hop est du rock n’roll, le rock n’roll est du hip hop, c’est de l’art. C’est tout pareil. J’apprécie plus d’écrire des morceaux de hip hop parce que je peux dire plus de choses. Avec le rock n’roll, il y a un certain nombre de paroles qu’il est possible d’adapter. Avec le hip hop, je peux en dire beaucoup dans laps de temps plus court.
En ce qui concerne les paroles, dans cet album, tu te livres de manière très directe et ouverte sur ce que tu as vécu. C’est une forme d’honnêteté brute. C’est déchirant. Comment arrives-tu à te sentir suffisamment à l’aise pour partager autant avec le public ? Pour tout mettre sur la table ?
Johnny : J’ai de bons amis qui me soutiennent. De supers membres du groupe, des gens formidables autour de moi qui me maintiennent fort, parce que c’est effrayant.
Ryan : C’était vraiment effrayant de sortir “Viper Strike”. À l’époque, nous n’avions pas encore poussé les barrières du politique. Johnny a écrit les paroles et il nous a montré d’abord parce qu’il avait peur de les publier. Nous avions peur car cela signifiait qu’il allait avoir un une cible derrière le dos. Nous étions inquiets pour lui d’abord et pour nous ensuite. Il est le leader mais nous sommes tous dans le même bateau.
Johnny : Nous partageons une croyance commune, et il est temps que les hommes hétérosexuels blancs disent ce que nous disons. Il n’y en a tout simplement pas assez et c’est vraiment un monde bizarre.
“Canals” est l’une des chansons les plus rock du disque, les paroles sont politiques et contre Trump.
Johnny : Au prix de diviser notre base de fans. Les gens ne veulent pas entendre cette merde. Les gens sont très différents selon eux. Ils ne sont pas d’accord avec nous. Ils entendent ce que nous disons et disent : “va te faire foutre”.
Ryan : Pouvez-vous imaginer ce que c’était pour nous dans les États du Sud-Ouest ? Où le racisme, le sexisme et l’homophobie sont très répandus. Johnny était en train de les insulter, de leur dire de sortir et avons regardé la moitié de la pièce partir. Ce sont aussi les plus violents. Si tu regardes la communauté de soutien de Trump, leurs rassemblements sont incroyablement violents et les gens se font battre et vont à l’hôpital. Ils donnent des coups de pied et crient. Ce sont les gens à qui nous parlons, les plus agressifs.
Mais ils ont d’abord choisi de venir vous voir avant de quitter la salle.
Ryan : Ne connaissant pas notre position politique.
Johnny : Ils écoutent les singles, comme “Lydia” ou autre sur l’album. Ils pensent que nous sommes d’une certaine manière et n’écoutent pas tout l’album. Ils ne nous suivent pas sur les réseaux sociaux, ils ne comprennent pas. Certaines personnes viennent, s’attendent à entendre une certaine chose, puis entendent cela et s’en vont. Je dis : “bon débarras, ne laisse pas la porte te botter le cul en sortant”. Nous devons sélectionner notre base de fans et la construire autour de nos valeurs fondamentales.
Un single comme “My Name Is Human” est une position politique. De plus, tu es allé aux Grammy Awards en portant une veste avec le mot “Impeach” écrit sur ton dos. Le message était assez clair.
Johnny : Nous sommes toujours mal en point. Nous le serons pendant un certain temps, c’est ainsi que cela fonctionne.
En tant que Français, nous sommes intéressés par votre collaboration avec Gojira. Dans une précédente interview, vous avez dit que vous étiez voisins.
Rich : Lorsque nous avons déménagé à New-York il y a environ dix ans, Joe était notre voisin. Il vivait à l’étage, juste au-dessus de nous. Nous ne savions pas qui était Gojira à l’époque. Nous étions juste des amis.
Johnny : Nous gardions son enfant !
Ryan : Nous l’avons aidé à déménager !
Johnny : C’est une personne adorable. Nous étions très jeunes à l’époque. Nous n’avions jamais étés en France et tout ce que nous avions entendu à propos des Français était un discours endoctriné. Les Français sont impolis, les Français sont méchants. Joe nous a aidé de bien des manières lorsque nous étions un groupe en difficulté. Il nous a aidés à produire certains de nos premiers enregistrements. Dans ce dernier album, nous avions une chanson que nous avions écrite ensemble. Il nous manquait juste quelque chose, alors j’ai demandé à Joe s’il voulait en faire partie. Son studio était à seulement un mile de distance. Joe a adoré la chanson et quatre heures plus tard, cela a été fait.
La chanson est une forme de défi pour lui. Au début c’est très Gojira, mais ensuite il doit utiliser sa voix claire.
Johnny : Je sais exactement ce qu’ils font ensuite. J’ai entendu la moitié du nouvel album. Ils évoluent beaucoup. Dans le bon sens. C’est très agréable à entendre et c’est tout ce que je vais dire.
Ils ne peuvent pas se répéter indéfiniment. Ils doivent évoluer.
Rich : Beaucoup de gens le font cependant. Ils continuent de publier les mêmes trucs encore et encore.
Johnny : Nous pensons que c’est la définition d’être un vendu. Trouver une formule qui marche et la rééditer. Il faut savoir prendre des risques dans l’art.
Cet album était un gros risque. On s’est senti mal à l’aise quand on l’a entendu pour la première fois. On ne savait pas si ça nous plaisait ou non. Il m’a fallu un certain temps pour réaliser que cela avait du sens en tant qu’album.
Johnny : Tu sais quand Queens Of The Stone Age a sorti “Like Clockwork” en 2013, j’ai détesté le disque. Après quelques semaines, c’est devenu l’un de mes albums préférés. C’était différent de ce que j’aimais. J’ai écouté ce qu’il disait, les instruments, j’ai regardé le spectacle en direct et tout a cliqué. Notre album, ça va prendre du temps pour que les gens l’aiment. Nous en sommes conscients.
Avez-vous été touché par les réactions ? Certaines étaient positives, mais beaucoup d’entre elles étaient vraiment négatives.
Johnny : Je m’en fiche. C’est comme ça. L’art est consommé. Ceux qui n’aiment pas ça, ça va. Ils n’ont pas besoin de mon avis.
Quelle collaboration avez-vous été surprise d’avoir ?
Johnny : Notre collaboration préférée est définitivement Gojira. Nous avons essayé de travailler avec eux pendant des années.
Rich : Young Thug est certainement la plus surprenante.
Johnny : Quel groupe de rock que tu connais a une collaboration avec Young Thug ? Cela a pris beaucoup de gens au dépourvu.
Ryan : Faire une chanson avec Nothing But Thieves est totalement logique. Même Gojira a du sens. Si vous lisez les commentaires, les négatifs sont ceux qui se démarquent. Beaucoup de gens ont dit : “Oh, c’est comme une redite de Limp Bizkit”. (rires) Mais ce n’est pas le cas ! Ils ont repoussé les limites et avant de devenir ringard, Limp Bizkit était très cool. J’ai écouté leurs disques et je les ai adorés. Je pense que Fred Durst était génial.
Johnny : On parle d’un connard qui a fait de mauvaises choses à Woodstock. Il a déclenché des émeutes, mis le feu et blessé beaucoup de gens et ne s’en est jamais excusé. S’il ne l’avait pas fait, il aurait eu une bien meilleure carrière. Ce n’est pas que sa musique soit devenue nulle, c’est lui qui est devenu nul pour des raisons politiques.
Ryan : Si vous n’enseignez pas aux gens comment ressentir, ils continueront d’aimer ça.
Johnny : Ou si tu leurs apprends mal. Mais bon, nous nous retrouvons à parler de Fred Durst, cela signifie qu’il a eu un impact. Nous avons décidé de ne pas finir comme Limp Bizkit. Si nous ne sommes plus satisfaits de notre musique, si nous ne pouvons pas évoluer, nous arrêterons le groupe. Nous ne voulons pas devenir ces gars de cinquante ans qui jouent à la merde encore et encore. Il faut rester heureux. La vie est très courte.
L’album prouve que vous pouvez faire de nombreux types de musique. La prochaine fois, vous pourriez nous surprendre avec un album de blues ou autre chose ?
Johnny : Nous aimerions tous faire un album de blues à un moment donné.
Enfin, nous sommes “RockUrLife”, alors qu’est-ce qui rock votre life ?
Johnny : Voyager. Je me sens bizarre quand je reste trop longtemps dans un endroit. C’est vraiment agréable de découvrir de nouvelles cultures et de nouvelles personnes.
Rich : Les voyages, c’est bien, oui. Mon chien rock aussi ma life.
Ryan : Le pire sentiment est ce sentiment de stagnation lorsque vous n’allez nulle part. Alors voyagez !
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