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MOTOCULTOR FESTIVAL – Yann Le Baraillec (14/04/25)

Depuis plus de quinze ans, le Motocultor Festival s’est imposé comme un rendez-vous incontournable pour les amateurs de musiques extrêmes et de découvertes audacieuses. À quelques mois de sa prochaine édition, nous avons échangé avec Yann Le Baraillec, son fondateur et directeur, pour revenir sur l’histoire du festival, ses défis actuels, ses envies artistiques… et sa passion toujours intacte.

Alors, pour commencer, est-ce qu’on peut parler du rêve que tu avais quand tu as commencé ce festival ? C’était quoi le projet le plus fou que tu avais pu imaginer à l’époque ?

Yann Le Baraillec : À l’époque, je m’étais remis à la musique, je crois que c’était en 2005. On a fait la première édition du festival en 2007. J’avais recommencé à jouer de la guitare et à composer en groupe. Depuis quelques années, j’avais élargi mon cercle d’amis, et de plus en plus de monde autour de moi était dans le metal. J’accompagnais souvent des potes qui jouaient ce style-là.

C’est en assistant à leurs répétitions que j’ai découvert Pantera, Sepultura, Metallica, Megadeth… À l’époque, j’avais arrêté la guitare depuis 1997, et je m’y suis vraiment remis vers 2003-2004. J’ai commencé à composer à nouveau, à faire de la musique. Puis j’ai intégré un groupe de reprises qui s’appelait Motocultor.

Comme j’organisais de plus en plus de concerts pour mes propres projets ou ceux de mes potes, c’est moi qui prenais en charge l’organisation. D’abord de manière ponctuelle, puis plus régulièrement, même sans raison particulière. Rapidement, je me suis focalisé sur les concerts metal, parce que c’était le style que mes amis écoutaient. C’était plus simple à gérer, je comprenais mieux le public.

Ensuite, on a été sollicités pour le Festival de Saint-Nolff, un événement important dans notre région. La seule fois où j’y avais assisté, c’était en 2002, et je n’organisais pas encore de concerts. Quatre ans plus tard, ils ont fait une pause, puis relancé le festival en 2006. Ils ont fait appel à notre asso pour mobiliser d’autres associations locales et relancer l’événement. C’est là, en découvrant les coulisses et les backstage, que j’ai eu le déclic : je voulais moi aussi créer un festival en plein air, et bien sûr, dans le metal.

Le nom Motocultor m’a semblé évident, en lien avec le groupe. On s’est dit que si on lançait vraiment un festival, ce serait Motocultor Festival. Sur les deux premières éditions, notre groupe jouait en tête d’affiche. C’était encore en salle à ce moment-là, et on est passés en plein air en 2010. On a réussi à s’installer à Saint-Nolff en 2013 après plusieurs démarches.

Tu aurais imaginé que ça puisse prendre autant d’ampleur à l’époque ?

Yann : Non, pas du tout. Ce que je me disais, à l’époque, c’est simplement : “On ne sait jamais, si ça prend de l’ampleur…” On avait surtout décidé de se positionner fin août parce qu’à cette période, tous les potes allaient à un autre festival, le FuryFest, qui avait lieu en juin. Je ne connaissais pas encore bien l’événement, mais je me disais que c’était plus logique d’être à une autre période. Au final, ça a bien marché. Et plus tard, j’ai compris qu’il y avait en fait deux types de tournées : celles de juin-début juillet, et celles d’août. Donc c’est aussi une bonne chose de se démarquer et de ne pas être en concurrence directe.

Actuellement, c’est quoi les plus gros défis pour un festival comme le Motocultor ?

Yann : Aujourd’hui, c’est clairement le contexte économique. C’est devenu très compliqué. Par exemple, l’année dernière, on a fait complet… et pourtant, on était à perte. L’année d’avant, on n’avait pas fait complet, mais on avait battu notre record de fréquentation, et on était aussi à perte. Lors de notre première édition à Carhaix, on était bénéficiaires. Mais en un an, les coûts logistiques et artistiques ont explosé. On n’arrive plus à suivre. Cette année, on a misé sur la programmation, on a fait venir quelques têtes d’affiche supplémentaires, et on a changé un peu notre manière de communiquer. Résultat : on observe une hausse de 15% des ventes de billets. On va battre notre record de fréquentation… mais on arrivera à peine à l’équilibre. Ça montre qu’on doit revoir complètement notre modèle économique. Si on veut continuer, il va falloir faire évoluer notre budget. Parce que là, en deux ans, tout a énormément changé. Et notre modèle est devenu trop précaire : même quand on bat nos records, on perd de l’argent. Là, on vise juste l’équilibre… mais ça ne suffit pas à combler les pertes précédentes. C’est trop fragile.

Comment on fait pour continuer à avancer et justement se dire : “Mon record de fréquentation est battu, mon festival est de plus en plus réputé“, et pourtant économiquement… ?

Yann : Là, je n’ai pas encore trouvé de vraie solution. C’est un nouveau problème auquel on est confrontés. Cette année, on a réussi à atteindre l’équilibre en jouant sur différents leviers : on a un peu augmenté le prix des billets, on a eu l’opportunité d’avoir des groupes un peu plus gros, qui attirent plus de public. Donc, à court terme, ça a fonctionné. Mais est-ce que l’an prochain, on pourra à nouveau avoir des groupes de cette envergure ? Si ce n’est pas le cas, on risque d’avoir moins de monde… et donc de repasser en déficit. La programmation devient un vrai défi : il faut réussir à être aussi attractifs que cette année pour maintenir notre dynamique.

L’accueil joue aussi beaucoup. Si on accueille bien les gens, ils reviennent. C’est un vrai enjeu. Après, il y a aussi ce que va faire le Hellfest : est-ce qu’ils vont continuer à faire évoluer leur programmation, ou est-ce qu’ils vont revenir vers quelque chose de plus extrême ? Si eux élargissent leur ligne, c’est stratégique, ils l’assument, et ça leur réussit. Mais s’ils reviennent en arrière, ça pourrait nous ouvrir de nouvelles opportunités. On verra ça dans les mois à venir. En tout cas, on ne peut pas miser là-dessus : on ne connaît pas leurs objectifs à moyen ou long terme.

Effectivement, il y a la programmation, il y a l’accueil des festivaliers… Et ça, c’est de l’amélioration continue. Quels sont les changements que vous avez pu mettre en place cette année, malgré les pertes ?

Yann : Parmi les changements, il y a le fait qu’on soit passés à une bière bretonne locale. C’est une vraie volonté de notre part, mais ça a réduit notre marge sur les bénéfices bars. On y perd financièrement, mais on y gagne en image. Ça renforce le prestige du festival, et peut-être qu’à moyen ou long terme, ça nous bénéficiera. À court terme, en tout cas, c’est compliqué. Mais on va essayer de maintenir ce choix, parce qu’on pense que c’est important de se démarquer des autres festivals. Un autre point fort qu’on veut garder, c’est notre taille humaine. Certains festivals font des choses très bien à très grande échelle, mais nous, on ne pourrait pas rivaliser sur ce terrain-là. Par contre, on peut améliorer ce qu’on fait dans notre format actuel et préserver cette ambiance conviviale qu’on perdrait si on grossissait trop. C’est vraiment ce qui fait notre identité.

Est-ce que tu as identifié des critiques ou des attentes particulières de la part des festivaliers ? Tu restes à l’écoute pour ajuster ensuite ?

Yann : Oui, bien sûr. Il faut continuer à travailler sur l’accueil, réduire les temps d’attente, améliorer encore un peu la programmation… On va essayer de conserver ce qui a bien fonctionné l’an dernier tout en l’améliorant légèrement. On pense aussi à soigner un peu plus la déco, ajouter des éléments visuels, des installations, etc.

Comment est-ce que tu soignes cette relation avec les artisans, avec les brasseries locales ?

Yann : On va justement retourner les voir dans les prochaines semaines. Ce n’est pas encore calé, mais l’idée, c’est d’échanger, de construire à nouveau ensemble. Ce ne sont pas toujours les mêmes brasseries d’une année sur l’autre, ou alors pas forcément les mêmes produits, s’ils ont différentes références. Par exemple, la brasserie de la ville de Saint-Nolff, c’est super de pouvoir continuer à la faire travailler. Et puis il y a la brasserie Coreff, à Carhaix, qui a été partenaire du festival jusqu’en 2018. Ces deux brasseries sont importantes à nos yeux. Mais il y a aussi de la place pour d’autres microbrasseries.

Vous avez aussi des machines automatiques, ces fameux “murs à bières“, tu peux nous dire plus ?

Yann : Oui, exactement. Ce sont les fameux “murs de bière“. C’était une vraie nouveauté, et ça a super bien marché. Le principe, c’est de pouvoir installer des points de service automatiques dans d’autres endroits du site, en dehors des bars traditionnels, ce qui rend l’accès à la bière beaucoup plus fluide pour les festivaliers. Tu te sers toi-même via une machine automatique : elle met en pression, et ça coule tout seul. C’est hyper pratique, et ça a été très bien accueilli.

En plus, il y a toujours deux ou trois personnes sur place pour superviser, vérifier qu’il n’y a pas de bug, ou pour anticiper tout souci. L’équipe était vraiment très réactive. Je crois qu’en volume, ça a représenté environ un sixième du total. Sur les 60 000 litres de bière servis pendant le festival, environ 10 000 litres l’ont été via les murs de bière. C’est énorme pour une première fois.

C’est une forme d’innovation.

Yann : Oui, et ça permet aussi de proposer plus de choix sans surcharger les bars. Dans les bars, en logistique, c’est très compliqué de gérer trop de références : on limite à deux ou trois bières différentes maximum. En plus, il faut aussi gérer les fûts de Coca, de cidre, etc. Ça fait déjà beaucoup. Avec les murs de bière, on peut mettre en avant d’autres microbrasseries, proposer d’autres goûts. Si quelqu’un n’aime pas la blonde servie au bar, il pourra peut-être trouver une autre blonde différente sur un mur. Chacun peut s’y retrouver, et c’est ça qui compte. On essaie que chaque festivalier trouve sa bière.

Ça, c’est important.

Yann : Oui, je trouve aussi. Et comme le site n’est pas immense, même si une bière ne plaît pas à quelqu’un, ce ne sera jamais très loin d’en trouver une autre.


Sur le côté programmation, on a des gros groupes comme Machine Head cette année. Et il y a aussi une programmation vraiment éclectique. Comment ça fonctionne ? Comment est-ce que tu construis cette ligne artistique ?

Yann : On a toujours débordé un peu des sentiers battus. On n’a jamais fait du 100% metal. Dès la première édition, on avait déjà inclus des groupes complètement décalés. Normalement, quand tu lances un petit festival metal, tu mets uniquement du metal. Mais nous, on avait envie de proposer autre chose aussi, dès le début, et on a gardé cette ouverture. À la base, je n’écoutais pas forcément de metal. C’est venu petit à petit. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, j’étais dans plein d’autres styles. J’aimais bien les Rage Against The Machine, Prince… Quand tu apprends la guitare dans les années 90, tu passes par les classiques : Nirvana, etc. Mais j’ai toujours aimé plein de styles différents, alors forcément, quand tu organises un festival, tu as envie que ça reflète cette diversité.

Tu as eu des coups de cœur dans la programmation de cette année ?

Yann : Oui, Extreme, je trouve ça super cool. J’écoutais déjà un peu au tout début, mais j’étais resté bloqué sur les tubes. En creusant, tu découvres qu’il y a plein d’autres morceaux excellents. C’est bien mieux que ce que je m’imaginais à l’époque. C’est un peu comme Europe : tu connais “The Final Countdown”, t’écoutes le reste, c’est sympa, mais t’as pas forcément envie d’y revenir. Alors que Extreme, plus tu creuses, plus tu trouves de très bons morceaux. Je ne pensais pas que ça me plairait autant aujourd’hui.

Et un autre coup de cœur cette année ?

Yann : Oui, Mogwai, je trouve ça vraiment cool. Et je suis curieux de voir I Prevail. En live, apparemment, ils assurent. Et bien sûr, Kerry King. C’est Slayer, sans Slayer… mais avec Kerry King ! Ça va être quelque chose. Je suis très curieux, comme beaucoup de gens je pense.

Et si tu pouvais faire venir un ou plusieurs groupes rêvés, ce serait lesquels ?

Yann : Là, je t’avoue que je suis un peu frustré qu’on n’ait pas réussi à avoir Gojira cet été. On n’avait pas forcément une envie absolue de les avoir à tout prix, mais ça aurait été bien. C’est un projet rare, et le fait que ça tombe en août… c’était l’occasion rêvée, et on n’a pas pu conclure. Sinon, évidemment, Megadeth. Ce serait parfait. Dave Mustaine sur scène, c’est un rêve. Et puis j’aime bien aussi Porcupine Tree. Ce serait dingue de les avoir. Steven Wilson en solo aussi, c’est top. Ce sont des trucs qu’on adorerait programmer.

Finalement, c’est toujours assez éclectique, même dans tes envies.

Yann : Oui, clairement. Je ne suis pas fermé au “pur” metal. Mais même dans le classique, on a encore des groupes qu’on n’a jamais eus, comme Gojira. C’est un peu “facile” de vouloir les programmer — tout le monde les veut — mais mine de rien, on ne les a jamais faits. Et maintenant, ça devient envisageable.

Donc toi, t’es un metalleux… qui est devenu metalleux sur le tard ?

Yann : Ouais, c’est ça. J’ai commencé à écouter un peu de hard rock vers 20 ans. Tous les trucs classiques, avec la guitare : AC/DC, les groupes de base. Mais j’étais pas “à fond” dedans. J’écoutais aussi du Michael Jackson, du Prince… Je les aimais autant que les autres.

Les amis metalleux que tu avais à l’époque, ceux qui t’ont inspiré la création du festival, tu es encore en contact avec eux ? Ils savent que, quelque part, c’est aussi grâce à eux que tout a commencé ?

Yann : Oui, certains sont encore investis bénévolement sur le festival. D’autres viennent dès qu’ils peuvent. Ils sont toujours là, d’une manière ou d’une autre.

D’ailleurs, tu cherches encore des bénévoles aujourd’hui ?

Yann : Oui, on a lancé l’appel à bénévoles récemment, et ça a très bien démarré. On a envoyé un mail une semaine avant l’annonce publique, et dès le premier après-midi, il y avait déjà presque 500 personnes inscrites. On était quasiment à la moitié de l’objectif. Au total on a autour de 1 800 à 1 900 personnes.

Comment tu fais pour concilier tout ça avec ta vie privée ? Parce qu’un festival comme celui-là, ça doit occuper ta tête jour et nuit… Il y a forcément une énorme charge mentale.

Yann : Ouais, je crois que j’ai encore un peu de mal. Je plonge dedans à fond. Le matin, ça m’arrive de ne pas réussir à couper, de penser direct boulot. Le soir, j’essaie de décrocher, de regarder un film ou une série avec ma copine. Parfois, à 21h, je me dis “allez, j’arrête“, mais en fait, je replonge dedans, et on finit par regarder un film super tard. Après, on se couche à minuit ou plus, je me lève à 7h, et je suis crevé. Mais c’est important de garder ces moments-là, sinon c’est impossible de tenir. Il faut trouver un équilibre. Ce n’est pas facile, mais c’est essentiel.

Notre média s’appelle RockUrLife. La dernière question qu’on pose toujours, c’est : qu’est-ce qui rock ta life ? Qu’est-ce qui te fait vibrer, Yann ?

Yann : En ce moment, j’ai tellement le nez dans le guidon avec le Motocultor que j’ai envie de dire… le Motocultor ! (rires) C’est peut-être pas très original pour les autres, mais c’est vraiment ce qui me fait vibrer. Et puis ma copine aussi, évidemment. Je sais que c’est un peu bateau, mais bon, tant pis, j’assume. J’aime bien en parler, même si ça peut sembler répétitif. Même pour les amis, c’est bien parfois de faire une vraie coupure, de passer un moment sans parler du festival. J’apprécie ça aussi. Mais bon, il y a toujours des gens qui veulent poser des questions ou partager leurs idées… Et quelque part, c’est cool aussi. En ce moment, j’essaie aussi d’aller voir plus de concerts, en dehors du Motocultor. Avant, je ne prenais pas trop le temps, je ne faisais pas trop de tournées, je ne visitais pas assez les autres salles.


Site web : motocultor-festival.com

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Marion Dupont
Engagée dans la lutte contre le changement climatique le jour, passionnée de Rock et de Metal le soir !