Interviews

THE CRANBERRIES (18/01/12)

Presque dix ans après avoir annoncé leur séparation, l’un des plus grands groupes de rock irlandais revient en force. Icônes des années 90, The Cranberries ont acquis une notoriété internationale grâce à leur mélange de genres comme le rock celtique et une chanteuse à la voix pure et unique. Mais ils sont aussi connus pour leurs sorties aussi controversées qu’emblématiques d’une Irlande conservatrice et pleine d’ambiguïté. C’est avec la sortie de “Roses“, leur sixième album, qu’ils marquent leur retour et comptent démontrer leur maturité à leurs fans. En pleine campagne de promo, Noel Hogan, guitariste et principal compositeur du groupe, et l’inénarrable Dolores O’Riordan ont accepté de rencontrer quelques médias du web. Nous étions invités à cette demi-heure d’entretien, impressionnés par le regard perçant de la chanteuse et peinant à réaliser que nous interviewions les auteurs de “Zombie” et de “Linger”. Par chance, nos interlocuteurs répondirent aux questions avec une franchise désarmante.

 

Comment vous sentiez-vous quelques semaines avant la sortie de ce nouvel album ?

Noel Hogan (guitare) : Excité. Tout s’est bien passé depuis que nous avons commencé l’enregistrement il y a un an. On profite du moment. J’ai hâte de voir comment les gens vont percevoir ce nouvel album. Nos amis l’ont déjà écouté et ça leur a plu, donc… C’est une bonne chose.

Que signifie “Roses”, le titre de votre album ?

Dolores O’Riordan (chant) : La vie est comme un jardin de roses.

Redoutez-vous la réaction des fans ? Vous avez été absents pendant pas mal de temps…

N : Non… Non. On a fait cet album pour nous, parce qu’il doit nous plaire à nous avant de plaire à qui que ce soit d’autre. Si tu commences à t’inquiéter et à te demander : “Hey, est-ce qu’il va plaire à tout le monde ?” Ca va te rendre dingue. On a eu tellement de hits, mais si on ne faisait qu’essayer de recréer ça, comme on l’a fait auparavant, on oublierait la vraie raison de notre travail. Et on s’est promis de ne jamais refaire une chose pareille.

D : Oui, on tient avant tout à prendre du plaisir, à nous amuser.

Vous pensez à votre plaisir mais tous vos fans doivent être vraiment heureux de votre retour. D’un autre côté, vous devez vous rendre comte que certains d’entre eux s’imaginent que la reformation du groupe n’est que le fruit d’intérêt financiers…

D : Vous, vous gagnez de l’argent ?

Oui, bien sûr.

D : Vous vous levez le matin, vous allez bosser, mais vous sortiriez de chez vous pour ne rien gagner ? Moi, je ne le ferais pas. Bien sûr, je veux me faire de l’argent. C’est l’argent qui fait tourner le monde, qui permet de s’occuper de ses enfants. Mes enfants sont dans une école privée, donc oui, je veux gagner de l’agent, je ne vais pas le nier ! (rires) On est chanceux, parce qu’on gagne notre vie en faisant de la musique, et c’est super d’aimer son travail. Mais je ne le ferais pas s’il n’y avait pas d’argent en retour. Je ne le ferais pas pour rien.

Dix ans se sont écoulés entre la sortie de votre dernier album et “Roses”. Même si vous avez tous continué la musique d’une certaine façon, ça n’a pas été trop difficile de retravailler ensemble ?

N : Non.

D : On a tout de suite joué de façon naturelle et organique. On a été séparés pendant six ans, et puis il y a eu cette inauguration à Trinity College, où j’ai reçu le titre de Honorary Patron à la University Philosophical Society, et ils nous ont demandé de nous produire pour l’occasion. Et c’était génial ! On s’est rendu compte que l’alchimie était toujours là et qu’on se sentait bien, à jouer ensemble. Ce soir-là, on est sortis boire quelques bières, on a parlé et on s’est dit : “On ne rajeunit pas, c’est le moment ou jamais !” C’était spontané, comme une combustion spontanée, oui ! (rires) Ca, c’était en mai. En août de la même année [2011], on avait déjà confirmé des dates pour la tournée nord-américaine. C’est arrivé très vite.

Vous avez un processus particulier pour vos enregistrements ?

D : Non. Avec cet album, ça a été un processus tout à fait nouveau pour nous grâce aux avancées technologiques. On avait déjà réalisé pas mal de démos sur Protools et puis on les envoyait. A part “Roses”. Donc on savait très bien où on allait, dans quelle direction on voulait aller pour l’album, et par conséquent on n’a fait que cinq semaines d’enregistrement studio !

N : Ca a été très rapide. Surtout qu’on n’avait pas fait d’album ensemble pendant dix ans. On s’était dit qu’on finirait l’enregistrement et qu’on reviendrait dessus quelques mois plus tard pour retravailler dessus si besoin était, mais durant la dernière semaine d’enregistrement on l’a réécouté et… c’était ça ! L’album était fait. Comme l’a dit Dolores, ç’a a été très rapide, naturel et organique.

A la base, vous aviez vingt chansons pour “Roses”. Comment avez-vous choisi celles qui figureraient sur le tracklisting final ?

N : Stephen [ndlr : Street, producteur historique des Smiths, Morissey, Blur, The Subways et d’autres musiciens et groupes importants de la scène pop rock britannique] est doué pour ça. C’est difficile de choisir, on aimait toutes les chansons, alors il s’en est occupé. Il écoutait à nouveau les chansons, faisait des tracklists, c’est ce CD qui en est ressorti.

A ce propos, vous avez à nouveau travaillé avec Stephen Street pour cet album. Pourquoi encore faire appel à lui ?

D : Parce qu’il nous botte le cul ! (rires) Il est très bien, il nous pousse. Il semble avoir une bonne perception de notre son; il l’avait déjà prouvé. Il nous permet aussi de respirer et de garder un certain équilibre.

N : Et ça marche bien ! Il apport une atmosphère relaxante en studio. On n’avait jamais l’impression d’être sous pression. Si on devait faire telle chose tel jour et qu’on ne le sentait pas, on était libres de dire : “Ok, faisons autre chose alors!”.

D : Ouais.

N : Tout cela aide à obtenir un processus naturel lors de l’enregistrement.

Pourquoi avoir choisi de vieilles chansons comme “Raining” ou “Astral Projection”, qui datent de 2003 ?

N : Ce sont des chansons très puissantes. Je les ai écoutées à plusieurs reprises après la dissolution du groupe, et j’ai toujours pensé que ce serait une bonne chose de les sortir, un jour, même si on ne referait plus d’album ensemble. C’est à ça qu’on reconnaît une bonne chanson : si le temps n’a pas d’emprise sur une chanson, si elle ne vieillit pas.

Vous avez prévu de sortir d’autres chansons écrites pour “Roses” mais qui n’y figurent pas. Par quels autres moyens allez-vous les sortir ?

N : Il y aura différentes éditions selon les pays. Des chansons seront disponibles en B-sides dans certains pays et pas d’autres. C’est un peu comme un Lego, en pièces.

Considérez-vous votre album comme l’évolution logique de The Cranberries ? Ou vous percevez- vous comme un nouveau groupe ?

D : C’est plutôt un “mindstorm”.

N : Il y a une nouveauté. “Roses” nous rappelle nos deux premiers albums. Le son est là, mais en même temps on y a apporté une certaine modernité. L’enthousiasme qui était le nôtre en studio pour “Roses”, c’était comme à nos débuts. Si on ne s’était pas séparés, on n’aurait peut- être pas eu ce ressenti-là. Enchaîner les albums comme on l’a fait nous a fait perdre cet enthousiasme.

Quelle est votre chanson préférée de l’album ?

D : Probablement “Roses” !

N : Oui, “Roses” se démarque du reste de l’album. Mais j’aime beaucoup jouer “Shizophrenic Playboys”. C’est une chanson vieux rock typique du son de The Cranberries.

En parlant de “Schizophrenic Playboys”, vous avez fait référence à James Bond. Pourquoi ?

N : Ah oui ! (rires) Les riffs me rappellent le thème de James Bond. On a fait les enregistrements des cordes à Londres et on se prenait vraiment pour la Team James Bond (rires).

Beaucoup de gens ont été déçus de votre séparation. A quoi peuvent-ils s’attendre pour l’avenir ?

D : Je ne sais pas…

N : C’est difficile à dire. C’est dur de se projeter sur un an, on ne sait pas ce qui se passer. On sera peut-être fatigués, ou on aura envie de faire autre chose. On prend juste les choses comme elles viennent.

Cela signifie-t-il que vous ne voulez pas que le groupe prenne trop d’importance dans vos vies ? Que vous préférez privilégier votre vie privée ?

D : Oui ! Les plans que j’ai pu faire par le passé n’ont jamais vraiment fonctionné. Il ne faut pas faire trop de plans ou ils peuvent vite vous obséder, vous faire psychoter sur votre avenir. Si vous n’avez aucune grande espérance, vous ne pouvez pas être déçus. On vit au jour le jour. C’est un sentiment plaisant que de vivre l’esprit en paix.

Donc vous n’êtes pas actuellement en train de travailler sur un prochain album ?

D : Non.

Pensez-vous que “Roses” est votre album le plus positif ? Vous y parlez d’amour, du fait de vivre sa vie à la Carpe Diem…

D : L’album a un aspect très positif, c’est vrai, il est plein d’espoir. Il y a toujours de la lumière au bout du tunnel, il y a de l’espoir, et la vie est simplement ce que nous décidons d’en faire. Je pense que la façon dont on vit les choses a un certain impact. Si vous avez une perception positive, ça aide à rendre ce qui vous entoure positif. Dans la vie, on devrait tous tenter d’être positifs.

Pensez-vous que ce sont la maturité et l’expérience qui vont ont permis d’avoir cette vision de la vie ? Il y a vingt ans, auriez-vous pu écrire des chansons comme celles-ci ?

D : Non, on n’aurait pas pu les écrire. On avait pas la maturité, l’expérience de la vie. Plus on vieillit, plus on gagne en sagesse. On comprend que lorsqu’on est blessé, ce n’est pas pour toujours, et c’est à travers nos guérisons que nous nous construisons. Il faut aussi réaliser ses rêves et croire en soi, car si vous ne vous aimez pas, vous n’aimerez personne d’autre. Alors il faut s’aimer, se pardonner soi-même, et accepter que la perfection n’existe pas. On a tous des défauts mais il vaut mieux se focaliser sur nos bons côtés. Etre conscient de ça, ça aide beaucoup.

The Cranberries se sont souvent vus reprocher leurs positions idéologiques. Pensez-vous que l’expérience et la maturité vous aident à améliorer votre communication ?

 

D : A chaque nouvelle création, les gens vous comprennent mieux, dans la façon dont ils se reconnaissent en vous et ça leur apporte de nouvelles perspectives. C’est à chaque fois un pas en avant.

Quel est le meilleur souvenir lié à l’album “Roses” ?

D : Il faisait très froid à Toronto. On restait dans un hôtel en centre-ville. Dans la chanson “Roses”, je chante : “Tout est froid en hiver, tout est froid”, et parfois, même la température influe sur la personnalité. Il faisait froid, je venais d’apprendre que mon père allait mourir. Et il est mort le 24 novembre. On a joué “Roses” dans une église pendant la sortie du cercueil. D’une certaine façon, c’était une bonne chose car il avait beaucoup souffert de sa maladie. C’est en tous cas pour ça que “Roses” me tient particulièrement à coeur.

Comment avez-vous pu nous laisser pendant dix ans ?

(rires)

N : Ca fait partie de la vie : on a suivi notre chemin, eu des enfants, revu nos priorités. Bien qu’on apprécie le fait d’être là où on est, grâce aux fans, on a aussi besoin de penser à nous. C’est grâce à cela que vous pouvez écouter un meilleur album aujourd’hui.

D : On avait besoin de recharger nos batteries.

Vos carrières solos vous ont-elles aidés à devenir meilleurs, justement ?

D : Oui, absolument. Ca nous a permis d’expérimenter la vie par nous-mêmes, en tant qu’adultes. On avait toujours été ensemble, les uns sur les autres, et d’une certaine façon on a appris à avancer par nous-mêmes. Par la suite, on s’est retrouvés, on a réappris à s’apprécier les uns les autres. On ne prend plus nos relations pour acquises. Ce n’était pas si difficile d’entamer des carrières solos, c’était une évolution pratique. Ca faisait partie de tout ce qu’on traverse habituellement dans la vie et qui fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui.

Quelle question vous a-t-on trop souvent posée ?

(rires)

N : Pourquoi on s’est séparés en 2003…

Vous êtes tout de même conscients que c’est LA question que se posent les fans, justement parce qu’ils sont vos fans.

D : Bien sûr ! C’est logique !

N : On a essayé de l’expliquer. C’est arrivé très vite. Ces dix ans m’ont semblé durer que deux semaines, n’être pas si lointains. Dans nos têtes, on a toujours l’impression d’avoir vingt ans.

D : J’avais eu deux de mes enfants en 2003. J’avais pour habitude de les emmener en tournée avec nous toute leur enfance. J’ai réalisé que ce n’était pas leur place, un petit et un bébé dans un bus de tournée. Je me souviens aussi qu’un jour, on a sonné à la porte, et mon fils a dit : “Room service !” parce qu’il avait l’habitude de vivre dans un hôtel… (rires) Quand on est mère, on doit prendre soin de ses enfants. C’était en 2003. Maintenant, ils sont plus grands, ils ont leurs vies, leurs amis, leurs routines et ce n’est plus un problème aujourd’hui d’aller travailler et rentrer plus tard. Je me sens moins coupable. A l’époque, j’étais déchirée entre The Cranberries et mes enfants. Je devais faire ce choix et je suis contente de l’avoir fait. Le temps qu’on ne passe pas avec ses enfants, on ne peut pas le rattraper.

Vous parlez beaucoup de vos familles. Que pensent-elles de votre retour ?

D : Mon fils de 20 ans a fait partie de la tournée américaine, et mon fils de 14 ans et très fier ! Il m’a dit : “Vas-y, Maman ! Tu as des gens qui t’aiment. Sans eux, ta vie aurait été différente. Retournes-y, pour eux. Moi, ça ira. Je m’occuperai de toi !” Les hommes adorent jouer aux papas ! (rires)

Quelle question voudriez-vous qu’on vous pose ?

D : Je ne sais pas…

N : Je ne sais pas, parce qu’il n’y a pas beaucoup de questions qu’on ne nous a pas posées. Question difficile…

La prochaine fois, alors ?

(rires)

D : Oui, la prochaine fois.

Dolores, que pensez-vous de votre statut de leader féminin de groupe de rock ?

D : Je ne pense pas qu’il y ait une différence. De nos jours, dans notre société, ça revient au même. Ca fait du bien de voir qu’il y a plus d’égalité entre les sexes aujourd’hui. On se fiche du sexe ou des préférences sexuelles; les gens sont juste des gens, on devrait s’accepter les uns les autres et non s’analyser.

Quel est votre meilleur souvenir en tant que musiciens ?

N : On a grandi en écoutant de grands groupes qu’on idolâtrait et qu’on a ensuite rencontrés, avec qui on a fait des tournées. Ils sont d’ailleurs restés très simples.

D : Plus ils sont connus, plus ils ont les pieds sur Terre.

Vous savez que vous faîtes partie de ces grands groupes ?

(rires)

N : Quand on est concernés, on a du mal à réaliser ce genre de choses, à s’en rendre compte.

Quel est, au contraire, votre pire souvenir ?

N : Au milieu des années 90, le burnout, après le troisième album.

D : Pour moi, c’était un accident de ski au Val d’Isère. Mon mari devait m’y retrouver mais il était bloqué en Asie à cause de son passeport. Il n’a pas pu m’appeler pendant plusieurs jours. Alors je suis allée skier avec les garçons même si je ne savais pas skier, et je n’ai pas pu m’arrêter ! (rires) Je me suis blessée dans ma chute et j’ai du subir une intervention chirurgicale et j’ai mis du temps à m’en remettre.

Un dernier mot en français ?

D : Merci beaucoup ! Vous êtes très gentils ! (rires)

 

Traduction : Djessica Mezoued