A l’occasion de la sortie de son deuxième album “Stranger Fruit”, nous avons eu la chance de passer un moment avec Manuel Gagneux, tête pensante du projet. Bonne humeur, rires et engagement politique au programme !
Bon retour à Paris ! Comment vas-tu et comment te sens-tu à propos de la sortie de “Stranger Fruit” ?
Manuel Gagneux (chant/guitare) : Je vais bien je te remercie. Je suis hyper impatient de sortir cet album puisqu’il est terminé depuis longtemps maintenant. L’album a été enregistré entre janvier et mars dernier. Mais la plupart des chansons ont été écrites il y a bien plus longtemps. Notre premier album ne durait que vingt minutes, donc pour les concerts il nous fallait ajouter des chansons afin que le concert dure plus longtemps que… vingt minutes ! (rires)
Parlons de ta dernière tournée en effet. Le succès fulgurant du premier album vous a permis de jouer beaucoup de concerts en peu de temps et parfois, de jouer dans des endroits improbables pour votre style de musique. Comment était-ce de jouer dans des contextes aussi différents ?
Manuel : C’est génial puisque ça t’oblige à être bon à chaque fois. C’est une sorte de challenge. Par exemple, nous avons joué plusieurs fois en pleine journée, en plein soleil, lors du Reading Festival notamment mais aussi lors du Best Kept Secret Festival. C’était génial puisque nous ne jouions pas devant le public metal ou rock auquel nous sommes généralement habitués. C’est un bon défi !
Quand tu as écrit ces nouvelles chansons, était-ce déjà dans l’optique d’un album entier ?
Manuel : Non. Je n’y pensais pas. Mais quand nous les avons joués sur scène, elles ont vraiment bien fonctionné donc je me suis dit “pourquoi pas”. Je pense que l’album est composé à 60% de ces chansons et à 40% de nouveaux titres. Mais l’idée principale derrière cet album est venue avant l’écriture de ces chansons. Il était important pour moi de faire un album dans son ensemble et pas seulement une collection de chansons compilées. Je voulais vraiment étendre mon univers. J’ai essayé de rendre cet album plus intriguant que le premier.
Oui, en écoutant l’album, on a senti que tu avais fait des choix plus radicaux. Dans le même esprit que le premier album, mais en poussant le concept plus loin.
Manuel : Oui, il était très important pour moi de prendre du temps pour réfléchir à ce que je voulais vraiment faire. Kurt Ballou a apporté un nouveau regard sur ma musique, ça m’a beaucoup aidé. J’ai pensé que s’il fallait que je prenne du temps pour faire un album de meilleure facture, il fallait que je le fasse de cette manière.
Au final, tes aspirations les plus pop sonnent encore plus pop, et les blacks encore plus blacks.
Manuel : Oui exactement ! Je voulais que les tentacules aillent dans toutes les directions ! (rires) Je pense que les passages pop sont plus accessibles et les passages metal sont plus rugueux. Mais ils s’assemblent plutôt bien, d’une manière assez étrange. C’est d’ailleurs quelque chose que j’ai voulu montrer avec les deux premiers singles. Je voulais surprendre les gens avec ces deux chansons. Les gens ayant aimé le premier album devaient s’attendre à un premier single metal donc j’ai choisi “Gravedigger’s Chant” comme pour leur dire “fuck you” ! (rires) Et les personnes ayant découvert le groupe avec cette première nouvelle chanson soft et attendent une suite dans la même lignée, le deuxième single est beaucoup plus extrême ! (rires)
Est-ce que ton label te laisse une total liberté concernant tes choix ?
Manuel : Oui mec, une liberté totale. Mais c’est ce que j’attends d’eux ! Ils me disent : “Nous, nous ne sommes pas sûrs de ce que tu veux faire, mais toi tu le sais, donc fais-le !” et je me sens vraiment chanceux qu’ils fonctionnent de cette façon.
N’as-tu jamais été tenté par diffuser ta musique de manière totalement indépendante ? Surtout après ton premier album ?
Manuel : Bien sûr que si mais je me suis dit : “Jusqu’où aurais-je la possibilité d’aller seul ?” et je me suis dit que je n’étais pas un très bon producteur. Je pense que je peux enregistrer un album décent mais après avoir travaillé avec des gens comme Kurt Ballou, je suis sûr de ne pas avoir la capacité d’enregistrer un album mieux que le premier. Donc je me suis dit : “Soyons honnête, tu ne peux pas y arriver sans aide”.
As-tu choisi de travailler avec Kurt Ballou parce que tu es un fan de Converge ?
Manuel : J’aime surtout la manière dont il mixe les albums sur lesquels il travaille. Surtout son son de batterie. Dans un premier temps j’ai cherché quel était mon son de batterie préféré. Et c’est le son de batterie sur un album de Kverlertak. Donc j’ai cherché qui a produit cet album et c’était évidemment Kurt Ballou ! (rires) Donc je lui ai demandé s’il voulait travailler avec moi, et il a accepté.
Ton premier album est officiellement sorti début 2017. Pourquoi sortir le deuxième aussi rapidement ?
Manuel : Tout simplement parce qu’il est fini mec ! Pourquoi patienter de sortir quelque chose qui est fini ? Quand tu es un artiste, la seule chose que tu veux faire c’est écrire de nouvelles chansons et les sortir.
On a le sentiment que le cycle habituel sortie d’un album – tournée d’un an et demi – sortie de l’album suivant deux ans après le précédent est en train de s’essouffler. Les groupes sortent de la musique de plus en plus fréquemment. Penses-tu suivre cette nouvelle dynamique ?
Manuel : Honnêtement non. Bien sûr aujourd’hui, les groupes sortent plus de singles que d’albums mais je ne veux pas suivre ça. Tant que j’aurai la possibilité de sortir des albums, je le ferai.
Qu’est-ce que cela signifie pour toi d’incorporer des éléments de musique afro dans l’univers du metal ?
Manuel : J’aime ça je crois. La pire chose serait de dire que c’est étrange ou spécial. Mais c’est juste plus de musique dans un tout petit environnement. Ce qui est drôle, quand nous avons joué aux États-Unis, nous avons joué à New York dans cette salle très célèbre appelée le Saint Vitus. Et le public était si mixte. Des blancs, des noirs, des jeunes, des vieux, des metalleux, des mecs plus normaux, des gens bizarres. C’est un public vraiment hétérogène mais qui partage beaucoup, j’adore ça.
Des mouvements comme Black Lives Matter, ou, de manière plus générale, ce qu’il se passe dans la communauté noire, particulièrement aux Etats-Unis, est-ce des choses que tu incorpores à ta musique ?
Manuel : Oui, c’est vraiment très présent dans ma musique. C’est d’ailleurs pour cela que l’album s’appelle “Stranger Fruit”. C’est une référence à “Strange Fruit” qui est une chanson de Billie Holliday. Elle chante : “strange fruits hanging from the trees” mais en réalité, elle veut dire : “dead people hanging from the trees”. Ce n’est pas quelque chose d’aussi évident dans ma musique, mais si tu te penches sur les paroles, tu pourras apercevoir des petites choses.
On peut sentir l’influence de la culture black à travers ta musique et c’est une chose rare dans le metal. Selon toi, pourquoi la culture noire est-elle sous représentée dans le monde du metal ?
Manuel : Je pense que ça à voir avec le nombre de musiciens blacks dans la communauté metal. C’est une musique qui est surtout jouée par des blancs donc, c’est logique qu’on parle peu des problèmes inhérents à la communauté noire. Ce serait vraiment bizarre d’ailleurs que ce soit le cas. C’est quelque chose que je veux faire avec ma musique. Mais pour être honnête, je cherche surtout à ce que ma musique soit bonne. Tu peux avoir un super message, mais si ta musique est naze, ton message le sera aussi.
Est-ce que ce sont des thématiques que tu as toujours voulu aborder dans ta musique ?
Manuel : C’est quelque chose qui est plutôt venue ces dernières années. Je pense que tout ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis a favorisé cette prise de conscience. Avec la musique que je fais, je me sentirais idiot si je ne m’en servais pas pour passer des messages et informer.
Vu la particularité de ton projet, tu as la possibilité de partager l’affiche autant avec des groupes de black metal purs qu’avec des groupes électro plus hipsters dans l’âme. Comment vis-tu ce grand écart ?
Manuel : Je pense que c’est magnifique. Si tu es enfermé dans une scène et que tu n’as jamais l’opportunité d’aller jouer ailleurs, tu n’as pas la chance de confronter ta musique à un public plus large. C’est génial parce que, par exemple, cette année nous allons jouer aux Eurockéennes mais également au Hellfest. Nous allons donc observer énormément de réactions différentes. C’est super cool. Ce serait peut-être bien plus sécurisé de ne jouer que dans des festivals metal. Mais si tu es amené dans un festival plus orienté électro par exemple, les gens ne s’attendent pas à ce que tu débarques, ça nous permet de rester en vie quelque part.
Est-ce que tu as un souvenir particulier d’une réaction du public face à ta musique ?
Manuel : Oui, au Best Kept Secret Festival ! Les gens ne nous connaissaient pas du tout. Radiohead était la tête d’affiche ce soir-là donc nous avons joué devant des fans de musique, mais pas forcément des fans de musique extrême. Donc nous débutons le set devant quelques personnes puis petit à petit, nous l’avons terminé devant des milliers de personne. C’était incroyable.
On a le sentiment que le clip de “Gravedigger’s Chant” est le premier d’un cycle.
Manuel : Oui c’est l’idée. Après, tourner des clips coute super cher. Je fais en sorte que tout le monde autour de moi soit justement payé. Je paie tous mes techniciens et musiciens avant moi ce qui fait que généralement, je ne touche pas d’argent sur ce projet. Donc avant de tourner la suite, il va falloir que nous partions en tournée pour gagner de l’argent.
Pour finir, notre site s’appelle “RockUrLife”, alors qu’est ce qui rock ta life ?
Manuel : Le café. Le café rock ma life. C’est la seule raison pour laquelle je suis en vie et pour laquelle je crée.
Site web : zealandardor.com