La soirée est inédite : dix ans après la sortie de son premier album, ††† (Crosses) a livré son tout premier concert parisien au Trianon. À l’occasion du Familiar World Tour, Chino Moreno et Shaun Lopez sont venus rencontrer l’audience française, joyeusement rassemblée dans une ambiance tranquille mais salutaire.
VOWWS
S’il n’est pas rare de regarder sa montre devant une première partie, VOWWS fait exception à la règle. Le duo australien, accompagné d’un batteur de tournée, propose dès les premières notes une atmosphère mystique faite d’un synthé perçant, d’une guitare grasse, d’une batterie à la fois imposante et rassurante, et d’une double voix joliment harmonisée. Assumant un style bien rock, VOWWS enchaîne les riffs puissants évoquant parfois la marque Royal Blood. Le groupe installe une ambiance indubitablement originale, à la fois atmosphérique et heavy, comme la bande-son rock d’un film d’horreur. Cet univers hanté se voit renforcé par les textures de clavier inquiétantes, les cris truffés d’effets que Rizz (chant) pousse dans son deuxième micro, et le jeu de lumières bleuté et sombre.
Les musiciens ne sont pas bavards, et enchaînent les chansons sans grand effort de communication envers le public, mais ce silence s’inscrit parfaitement dans le décor musical de la performance. L’effet de masse instrumentale procuré est à la fois chaotique et captivant. VOWWS parvient à créer un véritable univers sonore et embarque l’audience dans une sorte de voyage sensuel, gothique et hypnotisant.
††† (Crosses) sombre et joyeux
Peu après 21 h, Shaun Lopez et Chino Moreno font leur entrée sur scène sous les applaudissements et les hurlements d’un public las de ces dix années d’attente. La scénographie est élégante, avec les trois grandes croix leur servant d’emblème disposées en fond de scène, les animations hachées mais discrètes sur les écrans et le jeu de lumières coloré. Cette fois-ci, Chino n’est pas venu alimenter pogos et hurlements comme il le fait depuis trente ans avec Deftones. C’est une toute autre ambiance proposée par le duo de darkwave ce soir, qui prolonge l’aventure lugubre entamée par VOWWS.
Ce qui fait l’attractivité de la musique de ††† (CROSSES), c’est cet habile décalage opéré entre des compositions déconstruites, ornées de synthés disloqués aux sonorités parfois excentriques, et des refrains chaleureux et fédérateurs portés par la voix mythique de Chino Moreno. L’album Goodnight, God Bless, I Love U, Delete (2023), le dernier en date, a permis au duo de se concentrer sur la face sombre de sa dream pop souvent plus légère sur le premier disque éponyme de 2014. Cette différence de tonalité se ressent dans l’ambiance générale du concert, et permet de faire varier les intensités et d’invoquer différentes réactions chez un auditoire très attentif. En effet, si l’album de 2023 a droit au plus grand nombre de places dans la setlist (neuf), les meilleures de l’éponyme se voient octroyer des positionnements avantageux : “Thholyghst” et “Bitches Brew” arrivent en fin de set, et ce sont “Telepathy” et la fabuleuse “Option” qui clôturent le show.
Ces quatre morceaux, accompagnés de “This Is A Trick” et “The Epilogue” également présents sur ††† (Crosses), ainsi que “Vivien” issu de l’EP PERMANENT.RADIANT (2022) semblent susciter la plus grande adhésion sonore de l’assemblée qui reprend les mélodies des refrains à cœur joie. Elle s’autorise une plus grande activité corporelle sur l’enthousiaste “Telepathy”, une des chansons les plus exaltantes et dynamiques du groupe. “This Is A Trick” et “Bitches Brew” assurent la partie plus rock de la soirée, avec une mention spéciale à la fin jubilatoire de “Bitches Brew” qui permet à Chino Moreno de s’adonner à quelques screams qui doivent ravir les fans de Deftones présents ce soir. Les refrains de “Option”, “The Epilogue” et “Thholyghst” permettent quant à eux de se vider les poumons sur des airs catalyseurs. De la même façon, les chansons de PERMANENT.RADIANT comptent des mélodies entraînantes, tandis que “Initiation” et “Protection” sorties uniquement en single se veulent un peu plus atmosphériques.
Si les morceaux de Goodnight, God Bless, I Love U, Delete se prêtent un poil moins à la chorale, ils instaurent une atmosphère plus sombre et singulière. “Pleasure”, “Girls Float † Boys Cry” et “Pulseplagg” captivent avec leurs sonorités solennelles très Depeche Mode, “Ghost Ride” et “Invisible Hand” perturbent quant à la meilleure danse à adopter, tantôt flottante, tantôt effrénée. Enfin, l’addictive “Big Youth” nous plonge dans un univers plus hip hop avec ses percus et ses basses omniprésentes et le couplet d’El-P, rappeur et membre du groupe Run The Jewels, dont l’image s’affiche sur les écrans. Même Chino Moreno s’adonne à un chant plus parlé, qui fonctionne à merveille pour conférer à la chanson une aura badass permettant de diversifier les couleurs sonores de la soirée.
Si les boucles de synthé obnubilantes, le chant parfois susurré de Chino Moreno et les parties de guitare solennelles de Shaun Lopez créent une ambiance funèbre et orageuse, l’attitude de Chino qui ne cesse de parcourir la scène de long en large, les refrains lumineux et la scénographie aux couleurs chatoyantes dévoilent les rayons d’un soleil mal caché. Le tout permet de libérer une énergie conviviale et d’unir, enfin, ††† (Crosses) et son public parisien.
