Il y a des anniversaires que l’on ne raterait pour rien au monde. Annoncé au début du confinement, le concert des dix ans du deuxième album d’Alcest, Écailles De Lune, avait fait poindre un peu d’espoir au milieu d’une actualité morose. Après deux ans et deux reports consécutifs, cette date unique au Bataclan a un léger goût de revanche. Et d’impatience, forcément !
Un rendez-vous européen
Boulevard Voltaire, 18h. L’ouverture des portes n’est que dans une demie-heure mais la file d’attente est déjà longue malgré le thermomètre sous la barre des zéro degrés. Espagnol, hollandais, allemand : un melting pot de langues se fait entendre et laisse présager que certains fans ont fait le déplacement de loin pour assister à ce concert événement, unique en Europe. Mais avant de nous emmener voguer sur les rivages bleutés d’Écailles De Lune, Alcest propose deux premières parties de choix.
Black Swan
19h tapantes. GGGOLDDD ouvre le bal dans un Bataclan rempli de moitié. Accompagnée de cinq musiciens, la chanteuse Milena Eva investit la scène dans un ensemble rappelant le cygne noir. La musique des Néerlandais n’est guère plus lumineuse. Mélange de post metal et d’électro sombre, il en ressort un sentiment glacial. Il faut dire que leur nouvel album, This Shame Should Not Be Mine, joué en intégralité ce soir, n’est pas des plus jovial. Dans un tissu sonore brodé d’expérimentations, la voix gracile de Milena Eva se fraie un chemin pour nous raconter l’histoire de son viol et de sa reconstruction. Se déhanchant tel un pantin désarticulé, la chanteuse, habitée et hypnotique, éclipse ses comparses au second plan. Pas préparée et venue en nombre pour Alcest, l’audience semble partagée entre ennui et surprise. L’excellent final sur “Beat By Beat” conclut une performance variée et maîtrisée de bout en bout.
Violon d’ing(r)ue(s)
Grande habituée des concerts de metal, JO QUAIL et son violoncelle assurent la deuxième partie de soirée. Après une introduction digne d’une bande son de films fantastiques, la Britannique enchaîne les loop et tisse des ambiances, entre classique, celtique et metal. Cachée derrière son violoncelle électrique et auréolée d’un halo lumineux, Jo Quail a bien du mal à fédérer le public. À sa décharge, les bavardages incessants ne facilitent pas l’immersion dans un univers sonore aussi calme et exigeant. Peu à peu, les boucles sonores gagnent en complexité, les dissonances se mêlent aux mélodies et le propos gagne en intensité. Mais quand le set touche à sa fin, la question subsiste : était-ce un choix idéal pour ce genre d’affiche ? Malgré une performance irréprochable, Jo Quail ne parvient pas à convaincre les fans d’Alcest dont l’impatience n’a fait que se gonfler.
Aux origines
Déjà douze ans que sortait l’ovni Écailles De Lune. Si l’engouement pour ce concert anniversaire est tel, c’est parce que le second album d’ALCEST a cristallisé une époque et un style : le post black metal, parfois aussi appelé “blackgaze“. Très largement copiés mais rarement égalés, les Français en sont devenus les créateurs et les mentors. Ajoutez à cela une imagerie onirique et hors du temps, et vous obtenez la recette d’une véritable success story qui a mené les Français à se produire aux quatre coins du monde. Plus boudés dans leur pays d’origine, voilà maintenant quelques années que le public français les a acceptés. Après avoir ouvert pour Opeth en 2014 et Anathema en 2017 au Bataclan, jamais deux sans trois, Alcest s’offre enfin la salle mythique en tête d’affiche. Et cerise sur le gâteau, la date est archi complète !
La rumeur des vagues
21h tapantes. L’obscurité reprend ses droits et le flux et reflux hypnotique des vagues résonne dans un Bataclan plein à craquer. Derrière la scène, la lune blafarde se dévoile et le quatuor entre en scène. Les puristes le comprennent instantanément : Alcest va dédier la première partie de son set à l’album Écailles De Lune. Les mille-cinq-cent âmes se crispent et retiennent leur souffle. Les premiers arpèges dissipent les derniers doutes de ceux qui oseraient encore en avoir. Le son est parfaitement équilibré, les deux guitares s’accouplent harmonieusement et la basse/batterie dialoguent avec une clarté rare. Les lumières bleutées enserrent la lune et plongent le public dans l’univers aquatique et onirique du disque. Des passages à la double pédale ravageurs aux accalmies les plus poétiques, le quatuor revisite son classique en six chapitres comme autant d’hommages à l’océan. Jouée pour la première fois depuis 2011, “Solar Song” fait l’effet d’une bombe et met avant les qualités évidentes du quatuor : finesse du son et cohésion de groupe. La ballade “Sur l’Océan Couleur De Fer” clôt une première partie de set majestueuse et équilibrée.
Le retour du Sphinx
Sans rappel, Alcest fait un pas de plus en arrière et revisite son premier album avec “Souvenirs d’Un Autre Monde”. Si tout le public n’est pas forcément réceptif, les fans de la première heure se réjouissent de cette surprise. Derrière la scène, la lune a laissé place au sphinx, créature mythologique et fil conducteur du dernier album, Spiritual Instinct (2019). Les singles “Protection” et “Sapphire” lui rendent hommage, dans un son plus metal qui récolte les louanges du public. Après plus d’une heure de set et quelques remerciements, encore trois albums sur six ont été mis de côté. Qu’à cela ne tienne, Alcest en fera une de chaque. Les arpèges japonisants de “Oiseaux De Proie” laissent place au tube “Autre Temps” avant de conclure sur l’habituel final, “Délivrance”. La salle se fige, la batterie claque, les arpèges cristallins et les chœurs proches du divin étreignent nos âmes une dernière fois. Alors que ses comparses quittent la scène sous un tonnerre d’applaudissements, Neige reste à genoux, dos au public. Dans un rituel devenu aujourd’hui une signature, le musicien lève sa guitare vers les cieux pour saluer son public.
Autre temps
Scindé en deux parties égales, ce concert anniversaire d’Alcest au Bataclan fera date. Si la première a rendu un vibrant hommage aux dix ans de son album phare, la seconde a su combler les fans les plus récents. L”une plus mélancolique, l’autre plus électrique, elles forment un fil conducteur où le temps s’est arrêté pour nous inviter à contempler l’incroyable richesse et diversité musicale de son répertoire. Avec cette double certitude : Alcest est un groupe de scène et il a encore de très beaux jours devant lui.