L’affiche de ce soir a tout d’un véritable pèlerinage musical. Pas seulement parce qu’Alcest y jouera en entier son cinquième effort, “Kodama”, mais aussi car les Français ont toujours su bien s’entourer. D’abord avec Vampillia, ovni avec lequel ils ont tourné à trois reprises au Japon puis avec Celeste, pointure du sludge. Mettez tout ce joli monde dans un lieu au cachet incroyable et vous n’aurez aucun mal à comprendre pourquoi cette soirée à La Gaité Lyrique affiche complet.
A 19h15, la salle se voile de bleu pour accueillir VAMPILLIA. D’abord en trio (piano/violon/guitare), les Japonais distillent une musique orchestrale et épique où chaque note de piano se meurt en un écho lancinant et poétique. Puis un bassiste, un guitariste et un batteur investissent la scène pour donner davantage de corps à un post rock plutôt convaincant. Mais c’est lorsque son chanteur gourou rejoint ses acolytes que Vampillia fait tomber le masque. Les orchestrations s’accélèrent, les murs de guitare se libèrent et la voix gutturale, couplée à la gestuelle convulsive du chanteur, font froid dans le dos ! Insaisissables musicalement, adeptes des contretemps et des ambiances aux antipodes, c’est avec une vélocité déconcertante que les Japonais passent d’une ambiance à l’autre. Chaque titre se développe comme une entité à part qui redéfinit l’ensemble. Vampillia laisse un public pantois d’admiration, pas certain de comprendre la teneur de ce à quoi il vient d’assister.
Fidèles à leur habitude, c’est avec des lampes frontales rouges que CELESTE débarque sur scène. Sans surprise, les Lyonnais font la part belle à leur dernier méfait, “Infidèle(s)”. Pas de fioriture, c’est avec un son dense et équilibré que le combo distille son sludge teinté de black metal. Celeste ravage tout sur son passage grâce à des accélérations et une voix dont la détresse est palpable. Tournant du set, l’instrumentale “(I)” fait l’effet d’un immense sous-marin qui arpenterait les profondeurs obscures de l’océan. La machine à fumée, couplée aux rayons rouges qui semblent viser l’assemblée, instaurent une atmosphère particulière qui fait oublier le côté parfois linéaire de la prestation. Certains titres se démarquent comme l’écrasante “Laissé Pour Compte Comme Un Bâtard”. Avis aux optimistes de passage, Celeste a banni le mot espoir de son vocabulaire, préférant offrir à son auditoire une expérience introspective sur les tréfonds de l’âme humaine. Un peu éprouvant mais paradoxalement réjouissant.
Une demi-heure plus tard, le point d’orgue de ce pèlerinage musical arrive et il s’annonce salvateur. Depuis ses premières scènes au Glazart en 2010, ALCEST a fait du chemin et cette Gaité Lyrique pleine à craquer en est la preuve. Comme annoncé, la première moitié du set est dédiée à “Kodama“, joué pour la première et dernière fois en intégralité sur cette tournée. Rodés à l’exercice du live après avoir répandu leur post rock aux quatre coins du monde, les Français font corps et âmes avec leurs instruments. La voix de Neige est parfaitement audible et ses acolytes font ressortir toutes les subtilités de l’album, des magnifiques arpèges japonisants qui parsèment chaque morceau aux parties plus effrénées où l’ombre et la lumière se mêlent un combat sans merci (“Je Suis D’Ailleurs”).
Le tempo se ralentit sur “Untouched” qui offre une vraie bulle lumineuse pour aérer le set et assoir la cohérence du disque. “Oiseaux De Proie” fait l’effet d’une bombe et impose son statut de classique auprès d’une audience qui rentre en transe. Le groupe s’éclipse sur “Onyx”, instrumentale qui marque la fin de la première moitié du set.
De retour, Alcest nous replonge dans la genèse du projet avec “Souvenirs D’Un Autre Monde”. Quel soulagement de voir (ou plutôt d’entendre) que la profondeur émotionnelle de cet hymne n’a pas subi les affres du temps. Que ce soit l’intense et attendu “Percées De Lumière” ou “Là Où Naissent Les Couleurs Nouvelles” et son introduction fédératrice, chaque titre offre une belle rétrospective de l’histoire musicale de la formation.
Léger regret, la ballade “Sur L’Océan” passe à la trappe ce soir. L’habituel final “Délivrance” balaie vite cette absence avec ses chœurs somptueux nappés d’arpèges cristallins, transcendés par de splendides jeux de lumières. L’espace d’un instant, un sentiment de flottement envahit le public qui côtoie le devin. Certains sourient, d’autres pleurent, beaucoup ferment les yeux. Comme une religion, chacun imprime – que ce soit sur ses rétines ou dans ses oreilles – ce moment à sa façon. Alcest est déjà parti et revient avec humilité saluer et remercier son public qui ne cesse de s’agrandir.
Que retenir de ce pèlerinage musical ? La Gaîté Lyrique a offert aux sept-cent âmes réunies ce soir un concert qui fera date. En plus d’avoir mis en avant des groupes qui œuvrent pour bâtir et défendre l’avant-garde musicale d’aujourd’hui et de demain, ces trois groupes ont chacun livré – par le biais de leur musique mais pas que – une interprétation singulièrement différente de l’existence. Cette existence, celle-là même qui, par des trajectoires certainement différentes voire diamétralement opposées, nous ont réunis pour partager et apprécier ce moment ensemble.
Setlist :
Kodama
Eclosion
Je Suis D’Ailleurs
Untouched
Oiseaux De Proie
Onyx
—-
Souvenirs D’Un Autre Monde
Percées De Lumière
Autre Temps
Là Où Naissent Les Couleurs Nouvelles
Délivrance