Malgré sa phénoménale ascension, à laquelle la récente signature chez Nuclear Blast n’est peut-être pas étrangère, Alcest poursuit son bonhomme de chemin en gardant son intégrité. Preuve de cette qualité rare, les Français proposent ce soir deux premières parties méticuleusement choisies par eux-mêmes, se moquant bien des horizons musicaux qui les séparent. Quoi de mieux qu’une date à La Machine Du Moulin Rouge de Paris pour accueillir cet audacieux pèlerinage musical ?
Un vent glacial
19h tapantes. Trois fées répondant au doux nom de KAELAN MIKLA investissent la scène. Véritable ovni musical à la croisée entre darkwave et synthpunk, les Islandaises soufflent un vent glacial sur l’assemblée. Ajoutez à cela la sonorité un peu rugueuse de l’islandais et l’on peut se demander si l’on ne s’est pas trompé de salle ! Pourtant, Kaelan Mikla connaît déjà bien notre pays. Avec trois albums, le groupe a donné plusieurs concerts parisiens dont une récente Boule Noire en tête d’affiche.
La quasi totalité des titres joués sont issus de “Nótt Eftir Nótt” (2018), dernier album des Islandaises. Basse vrombissante, chant possédé sous fond de nappes industrielles, n’entre pas qui veut dans l’univers de ces trois sorcières ! C’est finalement quand Laufey Soffía Þórsdóttir adopte un chant plus posé que le trio accroche. C’est tout de même sur le terrifiant morceau titre que Kaelan Mikla conclut un set qui, à défaut d’avoir conquis tous les esprits, aura réussi le tour de force d’attiser leur curiosité.
Une rage universelle
Eux aussi sont des habitués des salles françaises. Et pour cause, BIRDS IN ROW sont des petits gars de chez nous. La violence et l’intensité de leur screamo, elles, touchent à quelque chose de profondément universel. Malheureusement, le mois de tournée semble avoir installé une fatigue qui se lit sur les visages. Les Lavallois enchaînent les titres à une vitesse vertigineuse, piochant majoritairement dans leur dernier album, “We Already Lost The World” (2018). Le set est dense et peine à laisser des respirations. Il faut dire que les quelques accalmies souffrent d’un son clean un peu brouillon.
N’en déplaise, les moments d’anthologie sont légion, comme la fin de “15-38”, scandée par le public ou le sublime “Fossils”, qui tire la sonnette d’alarme sur les conditions climatiques. Le chanteur prend souvent la parole, appelant la foule à se serrer les coudes en ces temps difficiles. Qu’il se rassure, l’assemble étant compressée à son maximum, les coudes ont bien été serrés ! Pogos et slams ont d’ailleurs fait honneur aux Français, qui ont pris le temps de remercier Alcest pour cette belle aventure humaine.
Une spiritualité où le temps disparaît
Après deux performances remarquées en fin d’année 2019, au Gibert Joseph de Paris puis au Trianon pour le “Major Arcana“, ALCEST revient ce soir en version longue pour défendre son sixième album, “Spiritual Instinct” (2019). C’est sous les yeux ébahis de l’auditoire qu’un immense drapeau à l’effigie d’un sphinx prend place.
La lumière se retire et c’est sous l’obscurité que Zéro, Indria et Winterhalter font leur entrée sur scène. Les applaudissements redoublent quand Neige, maître à penser du groupe, arrive à son tour. Le set débute sans surprise sur “Les Jardins De Minuit” et “Protection” qui ouvrent le nouveau disque. Si l’ambiance prend dès le départ, le son brouillon, lui, ne rend pas justice à la musique du quatuor. Ce n’est que sur l’intense “Oiseaux De Proie” qu’il commence nettement à gagner en précision.
Le jeu de lumières, tout en contraste, ajoute de la profondeur et un supplément d’âme à chaque morceau. Ainsi, le bleu est choisi pour représenter “Ecailles De Lune – Part II” et ses nombreux changements de rythme faisant écho au flux et reflux des vagues tandis que les lumières orangées subliment la folklorique et onirique “Le Miroir”.
C’est avec la fatigue d’un mois de tournée et l’émotion palpable d’un accueil inégalé qu’Alcest revisite les classiques qui ont fait de lui un pionnier. Avec six albums, il faut dire que la richesse de sa discographie commence à se faire sentir. Ainsi la ballade “Autre Temps” fait fondre les cœurs tandis que “Kodama” et ses accents japonisants peignent une toute autre ambiance. Les choeurs repris par l’audience sont également chantés lors du rappel. Une première d’après Neige.
Déjà une heure de set et Alcest regagne rapidement la scène. Son leader, touché par un tel accueil, admet ne pouvoir rêver mieux pour cette conclusion à la maison. Le mythique “Là Où Naissent Les Couleurs Nouvelles” relance le sublime. Le pont rallongé semble statufier le temps, le mettre en suspens. On peut y voir une sorte de dernière volonté vaine, celle que cette tournée ne se termine jamais. Sans surprise, le set se conclut sur “Délivrance”, dans une version toujours plus éthérée avec ses choeurs proches du divin. Cette bulle de poésie éclipse l’absence quasi impardonnable de “Percées De Lumière” ou de l’album “Souvenirs D’Un Autre Monde” (2007). A genoux, dos au public, Neige lève sa guitare vers les cieux pour faire ses adieux au public. Et à cette tournée qui s’achève.
“Violence et douceur”, “ombre et lumière”, il est pourtant difficile de mettre des mots sur les prestations d’Alcest qui se suivent et ne se ressemblent pas. Chacune à leur manière, perturbée par l’arrivée d’un nouvel album, encapsule une sensation et une atmosphère différente. Ce qui est constant, c’est la ferveur et l’humilité avec lesquelles ces quatre musiciens livrent chaque soir le meilleur d’eux-mêmes. Gageons que cela dure encore longtemps !