“J’aime savoir que les femmes sont le seul avenir du rock n’roll”, écrivait Kurt Cobain dans son journal. Si les concerts de rock avec des artistes femmes ne sont pas légions, ce soir, la star du grunge verra son vœu exaucé. Emma Ruth Rundle et Chelsea Wolfe, toutes deux signées chez Sargent House, vont donner de la voix pour un concert qui affiche complet depuis de nombreuses semaines.
Excepté sa guitare, EMMA RUTH RUNDLE a laissé ses compagnons de route à la maison. Après déjà trois passages à Paris en deux ans, cette soirée marque sa première apparition en solo. C’est avec humilité qu’elle entame son set par “Fever Dreams”, premier single de “On Dark Horses”, tiré de son quatrième album à paraître en septembre. Très expressive, sa dream pop fiévreuse teintée de folk prend tout son sens sur scène : elle nous expose sans mesure le fruit de ses entrailles.
La voix reste l’argument fort de l’artiste qui hypnotise entièrement son audience. En une fraction de seconde, on passe du murmure à des envolées criardes et aigues. Sur “Protection” ou “Marked For Death”, l’équilibre fragile semble menacé de lorgner vers des aigus incontrôlés, trahissant une détresse profonde mais il n’en est jamais rien. Seule sur une scène bien trop grande pour elle, telle une vagabonde des quartiers pauvres de Los Angeles, Emma erre mais sait parfaitement où elle va. Et c’est avec une maîtrise déconcertante qu’elle vogue entre ombre et lumière, alternant guitare acoustique et électrique, anciens titres et une poignée de nouveautés prometteuses.
Devant un Trabendo respectueux et silencieux, la musicienne offre une double interprétation de son répertoire : un diamant brut d’émotions pour ceux qui ne la connaissaient pas encore et une nouvelle lecture avec des airs retravaillés pour ceux qui pensaient la connaître et la redécouvre sous un nouveau jour ce soir. Un seul et unique sentiment converge toutefois : l’intensité d’un set qui marquera les esprits et ne fera qu’ouvrir un peu plus l’appétit pour ce qui s’apprête à suivre. ERR fait partie de ces trop rares artistes à ne jamais donner deux fois le même concert.
L’obscurité d’un Trabendo déjà secoué reprend ses droits pour une petite demie heure. Hormis un passage remarqué l’été dernier au Hellfest, CHELSEA WOLFE n’avait pas remis les pieds dans la capitale depuis trois longues années. Les Américains débarquent sur scène et “Spun” donne d’emblée le ton de la soirée : gothique, froid, industriel et complètement décadent, idéal pour oublier ce soleil radieux de juillet. Bénéficiant d’un son impeccable qui fait ressortir parfaitement chaque instrument, les Californiens axent principalement leur set entre leurs deux derniers albums, “Hiss Spun” (2017) et “Abyss” (2015).
Quand “16 Psyche” affiche un groove sludgien presque sexy, l’intro burzumesque de “Feral Love” se transforme en véritable messe occulte grâce à un jeu de lumière rouge aveuglant. A la fois digne d’une B.O. de film d’horreur, tout en mélangeant des influences metal, drone et folk parfaitement digérées, Chelsea Wolfe met mal à l’aise ceux qui ne sont pas habitués à cette croisée improbable des genres. Et c’est sans laisser place aux bavardages inutiles que les Californiens distillent leur noirceur, allant jusqu’à piocher dans leur vieux “Demons”.
Le contraste avec la prestation précédente se fait sentir : quand ERR utilisait la scène comme dévidoir à tripes, Chelsea Wolfe reste hermétique, presque fantomatique et livre une performance carrée qui ne laisse pas une seule seconde place à l’improvisation. La louve connue pour son charisme se serait-elle fait engloutir par des jeux de lumière trop copieux ? Car si ces derniers embrassent et épousent à merveille l’ambiance de chaque chanson, ils effacent un peu le personnage, qui s’il n’était pas doté d’une voix aussi particulière, serait relayé au rang de musicien parmi les musiciens.
Ne boudons pas notre plaisir, certains morceaux prennent une dimension incroyable, notamment la balade névrosée “The Culling” suivie par “Twin Fawn” et son refrain dont la puissance déploie ses ondes noires jusque dans les moindres recoins d’un Trabendo hypnotisé. Après un court rappel, Chelsea Wolfe assène le coup de grâce avec “Survive” et “Scrape” : la voix de sa cantatrice répand une dernière fois sa folie salvatrice.
Le Trabendo a accueilli deux artistes et tout simplement deux femmes hors du commun qui ne cessent de bousculer leurs sphères musicales. Nul doute qu’elles incarnent une nouvelle génération de femmes artistes sur laquelle il faudra compter. Sœurs de scène et amies dans la vraie vie, Emma Ruth Rundle et Chelsea Wolfe offrent deux visions du monde qui ont ce soir brillé par leur différence et leur intensité respectives.
Setlist :
Spun
Carrion Flowers
16 Psyche
Vex
After The Fall
Dragged Out
Demons
Feral Love
Ancestors, The Ancients
Particle Flux
The Culling
Twin Fawn
—-
Survive
Scrape