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CHET FAKER @ Le Trianon (01/06/15)

C’est dans le légendaire théâtre parisien que Chet Faker a posé ses valises pour trois soirs de suite, tous sold out ! Avec seulement quelques EP et un album sorti il y a un peu plus d’un an, le jeune Australien s’est vite imposé comme la révélation indie/soul de ces dernières années. En témoigne une affluence impressionnante, répartie sur une fosse compacte et deux gradins où certaines personnes se voient dans l’obligation de rester debout, les sièges étant tous occupés. Il s’agit déjà du quatrième passage de l’artiste dans la capitale en moins de deux ans.

20h. C’est le Barcelonais SAU POLER qui à la lourde tâche d’ouvrir la soirée. Ce dernier investit la scène avec du matériel pour mixer et un mac. Sorte de chillwave appauvrie qui n’a absolument rien à voir avec la musique de l’Australien, la musique de Sau Poler a bien du mal à rallier la foule à sa cause : les bavardages Parisiens et autres commérages typés “sortie de boulot” prennent le dessus sur un son ridiculeusement faible, une absence complète de lights et des mélodies peu entrainantes et répétitives. Qu’on aime ou non l’électro, même minimaliste, il est vraiment difficile de rentrer dans cette mixture informe que propose Sau Poler. Les chansons se suivent, sans la moindre interruption, sans le moindre applaudissement et donc sans aucune interaction entre l’artiste et le public. Les présentations ne seront jamais faites. Sau Poler joue néanmoins le jeu et livre son set électronique de trente minutes, en hochant la tête au rythme de la musique qu’il tente vainement de nous faire parvenir. L’Espagnol aura au moins eu le mérite de nous faire revisiter les notions de respect : un public Parisien qui parvient tout de même à produire plus de bruit que l’artiste, à rester trente minutes collé à son smartphone et même à se lever des gradins pour aller chercher des bières. Et un artiste, dont la musique, au-delà d’être certes incompatible avec le public de ce soir, ne fait aucun effort pour faire décoller l’assemblée. Inutile de préciser que lorsque la musique s’arrête, les applaudissements sont imprégnés d’une forte odeur d’hypocrisie.

 

 

Les bavardages se poursuivent et continuent pendant une entracte interminable de trente minutes. Puis à 21h tapante, le bal va enfin ouvrir ses portes : l’obscurité s’empare enfin de la salle et la foule, hystérique, dévoile son vrai visage. CHET FAKER arrive sur scène, belle chemise blanche, avec une prestance à l’américaine : le jeune homme de vingt six ans, rôdé, commence à mixer pour un public survolté et impatient. Là où son compère a échoué, l’Australien excelle : les mains s’agitent, s’entrecroisent à une vitesse qui fait danser la foule. C’est tonique, tout en relief, tout en nuance et les superbes lights rendent justice à un lieu dont le charme n’est plus à démontrer. La musique de Chet Faker semble être une véritable catharsis pour ces âmes esseulées qui donnent l’impression d’avoir attendues ce concert toute une vie durant. On apprécie le fait que l’artiste propose un véritable show avec des pièces instrumentales autour des véritables tubes qui composent son album : la magnifique “Melt”, “To Me”, “Release Your Problem”, “Blush”, et la classique “1998” ont d’autant plus d’impact lorsqu’elles surviennent après des interludes électroniques qui ont, elles, remplies leur rôle de chauffer la salle. Si au début, la voix de l’Australien apparaît un peu faiblarde, ce dernier rectifiera vite le tir, s’emparant de la scène avec une aisance déconcertante. Entouré par des musiciens prodigieux (mention spéciale au batteur dont le jeu, tout en finesse, est impressionnant), Chet Faker semble donner tout ce qu’on attendait de lui et même plus : un show rythmé, proche de son public, où le jeune homme s’exerce à tous les instruments : piano, synthé et autres pads électroniques. Mais là où il excelle, c’est quand ses musiciens sont derrière lui et que le trio guitare/batterie/chant délivre cet indé/soul, à la fois classique et moderne, pêchu et sensuel. On appréciera la tentative -plutôt réussie- de parler français et ce passage où l’artiste demande à quelqu’un du premier rang de traduire ce qu’il va dire “s’il vous plaît, rangez tous vos portables pour cette chanson. Sinon je vais vous punir”. L’audience parisienne, déjà conquise par une bonne heure de set, ne peut que s’exécuter dans la joie et la bonne humeur. Le musicien ne boude rien de son répertoire : ceux qui l’ont découvert avec son EP “Thinking And Textures” apprécieront “Love And Feeling” et “Cigarettes And Chocolate”, des titres visiblement reconnus par les spectateurs. Les reprises ne sont pas épargnées non plus, dont celle des Blackstreet, “No Diggity” qui sera reprise en cœur par un public qui semble tout sauf s’assagir. À ce stade du concert, on ne peut s’empêcher de penser que Chet Faker a déjà largement rempli son contrat du “bon concert”. Mais c’est pourtant après un court rappel que le meilleur arrive puisqu’il interprète des chansons lors desquelles son guitariste se lance dans un incroyable solo de blues rock, soutenu par un jeu de batterie subtil qui ne pourra que raviver le sourire des sceptiques : oui, un concert de Chet Faker, ce n’est pas que de l’électro et du chant, c’est aussi une belle performance instrumentale et des musiciens talentueux. Et si jamais il restait dans l’audience une poignée de personnes pas encore convaincues du talent intrinsèque de l’Australien, son interprétation métamorphosée de “Gold” a dû changer la donne. Les musiciens quittent la scène, les lights disparaissent et Chet Faker prend place derrière le seul piano qu’il n’a pas encore touché. Le musicien laisse le suspens envahir la salle en jouant seulement du piano : il n’est pas pressé et nous non plus. Un frisson s’empare de la salle : “Talk Is Cheap” version piano, avec une magnifique invitation à l’auditoire pour qu’il chante avec lui, sonne le glas d’une première soirée dans un Trianon qui a su finalement trouver dans la musique de Chet Faker de bonnes raisons d’être agité. Cette seule performance vocale sur le dernier titre valait le déplacement.

 

 

Reste à savoir si l’Australien est capable de performer aussi bien trois soirs de suite ? Son aisance sur scène, cette façon naturelle de donner l’impression que tout est si facile laisse à penser que oui. Pari tenu.