Huit ans. Cela faisait huit ans que le groupe de rock belge n’avait pas foulé les planches de la scène française. Pour son grand retour live, Ghinzu a frappé fort en remplissant un Olympia surexcité à l’occasion des vingt ans de son chef-d’œuvre Blow.
David Numwami
La soirée débute à 20h sur une tonalité… étonnante. Le Belge DAVID NUMWAMI, équipé de sa guitare et de son chapeau de cow-boy, prend place sur scène pour un set original et déroutant. Son style de jeu classique rock rappelle les plus grands noms de la guitare (il se dit lui-même fan de Frank Zappa), mais à sa virtuosité se rajoutent des touches pop, R’n’B, gospel et même quelques rythmiques reggaeton. Les multiples chœurs et harmonies pré-enregistrés rappellent les expérimentations d’un Jacob Collier, tandis que les mélodies et le style de chant font davantage penser à de la variété.
En plus de ce cocktail musical surprenant, l’attitude du Belge prend le public à court. Il s’adresse à celui-ci avec les mêmes phrases répétées et amplifiées par l’écho harmonisé qui accompagne presque toutes ses prises de parole. Alternant entre solos de guitare enivrants et dynamisés par sa whammy (pédale d’effet) et poussées aiguës à la voix, il propose aussi un jeu théâtral qui dénote avec la tranquillité de sa musique – surtout lorsqu’il se met soudainement à cogner sa guitare contre le pied de micro, et quitte la scène tel un vrai rocker, avant de revenir tout sourire. Un mélange entre jeu de scène et authenticité évidente qui ne manque pas de charme, et l’Olympia semble intriguée par ce curieux personnage qui ne cache pas son amour de Ghinzu et sa fierté d’assurer sa première partie.
Ghinzu, élégance chaotique
GHINZU s’empare de la scène à 21h dans le vacarme de l’Olympia qui semble à bout de patience. La fosse se masse contre la barrière pour accueillir comme il se doit les cinq musiciens qui lui ont tant manqué. La célébration des vingt ans de Blow, deuxième disque de la formation belge, ne se fait pas attendre puisque le set débute sur la chanson éponyme et ouverture du disque. Tout de suite, Ghinzu emporte son public et lui fait profiter de la douce rage de la somptueuse “Blow”, dont les multiples parties et variations d’intensité se succèdent avec fluidité sur huit minutes de rock progressif, rappelant des sonorités très Muse-esques.
Si Blow est mis à l’honneur dès le début du set, qui enchaîne les trois premières chansons du tracklisting (“Blow”, puis “Jet Sex” et “Cockpit Inferno” dont la transition en live est encore plus savoureuse), le groupe n’en délaisse pas pour autant ses autres productions. Ghinzu jouera respectivement deux et cinq chansons de Electronic Jacuzzi et Mirror Mirror, ses deux autres albums studio parus en 2000 et 2010. La setlist est plutôt bien équilibrée, même si le concert prend une toute autre tournure à partir de “Cold Love”, l’une des chansons les plus appréciées du groupe, placée en huitième position. “Dragster Wave”, “21st Century Crooners”, “Do You Read Me?”… John Stargasm et sa bande en font le temps fort de la soirée en déroulant une bonne partie de leurs morceaux les plus plébiscités. Cette concentration de bangers n’est pas sans effet sur la fosse, qui, si elle était déjà très investie, libère toute son énergie. Les fans se poussent, sautent dans tous les sens en scandant les paroles, et le concert prend un virage chaotique qui se marie bien avec l’élégante excentricité de la musique et du style de Ghinzu.
De façon générale, ce sont les morceaux les plus énervés du groupe qui fonctionnent le mieux. Aux addictives “Cold Love” et “21st Century Crooners” (l’audience chante le thème tellement fort que les voix recouvrent presque les instruments), il s’agit de rajouter “Dragon”, “Mirror Mirror”, “Until You Faint” et “Mine” dont les riffs alliant punk, prog et groove résonnent avec puissance dans la salle – et avec le public. Celui-ci est incontrôlable, comme s’il se délivrait des huit longues années d’attente. Mais cette surexcitation mal contenue et quelques faiblesses au niveau du système son apportent une touche d’ombre à la performance de certaines chansons assumant une tonalité plus paisible : “Sea-side Friends”, le bijou piano/voix “Sweet Love” dont on aurait aimé profiter en silence, et même leur principal chef-d’œuvre “Dragster Wave”, dont les nuances et l’élégance de sa progression portée par un piano envoûtant ne sont pas vraiment retranscrites à leur juste potentiel. Mais le niveau d’exigence s’adapte à la majestuosité de cette pépite qui a sa place parmi les quelques chansons de ce monde qui frôlent la perfection.
Niveau communion avec l’auditoire, John Stargasm semble ravi de la réaction des fans parisiens, qu’il complimente à plusieurs reprises. Il rejoint même la fosse pendant “The End Of The World”, quitte à causer quelques petits incidents techniques sur son système de retours, rapidement rectifiés. “C’est les aléas du direct !“, en rit-il, résumant plutôt bien l’ambiance générale qui se dégage de la soirée.
La setlist est structurée de telle sorte que Ghinzu offre à son audience deux rappels : un premier composé de cinq chansons, ouvert par “Sweet Love”, qui va crescendo jusqu’à “Mine” et replonge la fosse dans un chaos effréné. Et un deuxième, où le groupe retourne sur scène juste pour “Forever”, morceau absent des plateformes de streaming mais joué en live dès 2015 (idem pour “Barbe Bleue”, en début de set). Ces deux chansons pourraient-elles figurer sur le quatrième album de la formation, teasé et repoussé depuis presque dix ans ? John Stargasm a récemment confié en interview que celui-ci est prêt à 80%. De quoi anticiper déjà une prochaine tournée… À ce sujet, Ghinzu retourne justement en terres parisiennes le dimanche 25 août à l’occasion du festival Rock En Seine.
Ce qu’on retient de cette soirée de juin, c’est que Blow a beau avoir vingt ans, et ses compositeurs/interprètes cinquante, Ghinzu n’a rien perdu de sa superbe en live, qui a tant contribué à sa réputation et son succès. Donc le 25 août, aucune excuse : si vous êtes au parc de Saint-Cloud, vous devez absolument assister au set électrique et raffiné des Bruxellois. Vos oreilles vous remercieront – mais peut-être pas vos corps.