Aaaah, Meerhout. Sa superette, ses pavillons de plein-pied aussi coquets que des maisons Playmobil, ses terrains, ses vaches… et ses keupons. Depuis 20 ans, la charmante Meerhout, ville belge de 10 000 âmes située au coeur de la région flamande, accueille le Groezrock Festival. Chaque dernier week-end du mois d’avril, des milliers de mélomanes s’y rassemblent pour vibrer devant la crème de la scène punk, ska et hardcore internationale. Pour sa 21ème édition, le plus grand festival punk d’Europe frappe fort : les noms de Rancid, MXPX, Anti Flag ou même des mythiques Refused étalent sur l’affiche. Mais plus qu’un gros festival rock sexy et cosmopolite, le Groezrock est une expérience à part entière. Première partie du récit d’un week-end hallucinant, halluciné – belge.
“We’re the first band, right ?” Sans déc, ouais. Nous sommes samedi, il est 11h, le sol est déjà boueux et l’air, bien plus sain que la délicate odeur de vache qui agrémente l’expérience du camping d’un soupçon champêtre. L’esprit trouble après une première nuit de fête avec les touristes de tous bords, nous nous disons qu’il n’y a pas plus efficace qu’un réveil en fanfare avec CHIXDIGGIT dans les oreilles et de la bière fraîche dans l’estomac. Sur la grande scène (Main Stage, ou “scène principale”), KJ Jansen communique avec les spectateurs avec enthousiasme et humour entre les morceaux. Les corps remuent, un peu. Les têtes se secouent, un peu. Sur “Chupacabra”, les connaisseurs reprennent les paroles délirantes. Bref, le Groezrock commence tout doucement, dans la bonne humeur. Dix minutes après cet agréable réveil canadien, COUNTERPUNCH pulvérise nos oreilles sur la scène Ethnies. Mais à presque midi, la foule encore timide et/ou pas encore réveillée reste disciplinée. Le premier circle pit de la journée, du moins en ce qui concerne notre parcours, ressemble davantage à un petit jogging matinal. Les participants s’amusent eux-mêmes de leurs petites foulées.
A l’heure du déjeuner, THE MENZINGERS eux, apprécient la réactivité du public. “There’s lot of Brits, I guess..?” (“Y a pas mal de britanniques, je crois..?”) suppose Tom May. La formation américaine semble prendre beaucoup de plaisir sur scène, tout comme leurs compatriotes de WE ARE THE IN CROWD et les suédois qui montent qui montent qui montent… ROYAL REPUBLIC.
Vers 15h et pour la première fois depuis le début de la journée, nous approchons le chapiteau Fender Acoustic déjà cerné par un nombre incroyable de festivaliers. Parmi tous ces spectateurs, il est difficile de voir YELLOWCARD reprendre leurs morceaux en petit effectif : chant, guitares acoustiques, violon. Nous – car nous nous baladons en meute – regrettons qu’il n’y ait pas de retransmission simultanée sur grand écran comme sous la tente du Main Stage. Pourtant, l’émotion qui jaillit de la voix de Ryan Key et traverse la foule nous atteint. Tout le monde reprend les paroles des romantiques balades des américains, de “Only One” à “Light Up The Sky”. Des couples et des groupes d’amis (éméchés) s’enlacent et pleurent. Après “Believe”, Key nous donne rendez-vous trois heures plus tard sous le chapiteau de la scène principale où les Yellowcard au complet brancheront leurs amplis pour un live électrique.
Petite pause de vingt minutes sur la pelouse sous le ciel couvert en sirotant une bière fraîche et en observant avec amusement les deux tarés qui courent à poil. C’est un moment assez cohérent, étant donné la suite : le live de REEL BIG FISH. Face à la scène, nous nous rappelons que c’est une manette de Playstation dans les mains que nous avons découvert le hit “Sell Out”. Même si Reel Big Fish n’a pas du tout la même gueule que dans les années 90 – Aaron Barrett, le chanteur, est l’unique rescapé du line up originel – le projet musical ska punk festif est toujours aussi décalé. Ainsi, “Another Fuck You Song”, morceau aussi court que sans intérêt, est joué dans cinq versions différentes. Le groupe donne des directives : “For the next song, I need you to do… A HUGE CIRCLE PIT!” (“Pour le prochain morceau, je veux que vous fassiez… un énorme circle pit !”). Message reçu. Puis : “For the next song, which is… the same song, I need you to… SHAKE YOUR BODY!” (“… je veux que vous secouiez vos corps !”). S’ensuit une version disco du morceau. Nous avons également entendu : “For the next song, which is… the same song, I need you to… SQUARE DANCE!” Et les festivaliers imitent la “danse en carré” des cowboys. Reel Big Fish nous proposent même une version metal de “Another Fuck You Song”. Les fous rires fusent çà et là pendant cette énorme teuf. Sur “Take On Me”, délirante reprise du tube de A-Ha, un super héros vêtu d’une combinaison bleu foncé et du sac plastique assorti d’une chaîne de supermarché discount en guise de cape, slamme furieusement sur la foule hilare.
Plus tard, alors que nous lisons la suite du programme de nos yeux encore rougis, nous réalisons qu’il sera impossible de profiter à 100% d’un line up d’une telle qualité. La preuve : BOUNCING SOULS et THE WONDER YEARS jouent en même temps. Sur la scène principale, les premiers se lâchent quelques heures après avoir donné une session acoustique sur la scène Fender. Quant aux Wonder Years, les auteurs de “Woke Up Older” et “Don’t Let Me Give In” diffusent beaucoup d’énergie, pour le plus grand bonheur des amateurs de pogo. Vers 19h, des spectateurs se pressent devant la petite Macbeth Stage plutôt désertée depuis le début de la journée. En nous en approchant, nous percevons un son post hardcore mélodique et deux voix distinctes, et reconnaissons… WE ARE THE OCEAN. Plutôt étrange qu’on accorde une visibilité si restreinte au quintette post hardcore dont le deuxième album, “Go Now And Live” (2011) fut chaudement accueilli outre-Manche.
Entre les stands, au merch’, vers les baraques à frites et les buvettes, nous croisons des festivaliers ivres et/ou souriants et/ou bavards. La plupart d’entre eux prennent la même direction que nous. Comme promis, les rares YELLOWCARD reviennent sur la scène principale. L’espace se sature progressivement jusqu’au-delà du chapiteau tandis que les tubes “Way Away”, “Ocean Avenue” et “Lights And Sounds” retentissent sous le chapiteau. Plus tard, munis d’un sandwich à la traditionnelle frica(n)delle, nous matons de loin LAGWAGON mettre le feu sur la même scène et rappeler la sortie l’an dernier du coffret “Putting Music In Its Place” (2011).
“De loin”, car entre les deux, nous avons quand même fait un petit crochet du côté de la scène Impericon où THE DILLINGER ESCAPE PLAN a balancé son son mathcore. Eh oui, c’est un enchaînement violent et nous n’avons pas volé notre pause-saucisse.
Après cette longue série de concerts forts en émotions, les plus téméraires tâteront la fosse de l’Impericon Stage lors de la première demi-heure du live de PARKWAY DRIVE ou rejoindront les GALLOWS du côté de la scène Etnies. Très vite, il faut abandonner les australiens et les anglais punk hardcoreux pour assister à l’autre temps fort du Groezrock.
Incroyable mais vrai : c’est bel et bien RANCID qui clôt la première journée. Les californiens interprètent leurs morceaux phares, tels que “Time Bomb” ou même “Salvation” pour le plus grand plaisir de leurs fans. Ce Lars Frederiksen, qui doit jouer le lendemain matin avec The Old Firm Casuals, est au top. Pourtant, de loin, il semble que Tim Armstrong fasse plus ou moins semblant de jouer de la guitare, mime des accords. Et c’est carrément troublant. Si certains disent que (1) “Rancid, c’est une grosse machine [à fric]”, ou affirment que (2) “Ils sont vieux, ils ont des problèmes de santé”, on ne peut ignorer que (3) après vingt ans d’aventure punk Tim, Lars Frederiksen et Matt Freeman (3) “sont encore capables de se partager la scène, comme ça, sans qu’y ait bataille d’ego ou quoique ce soit”. Plus qu’un instant revival, Rancid nous gratifient d’une excellente performance avant la sortie de leur huitième album (prévue après celle du troisième bébé de The Transplants) et montrent une complicité très touchante. Comme les complices le chantent depuis 2003 : “If I fall back down, you’re gonna help me back up again / If I fall back down, you’re gonna be my friend” (“Si je m’effondre, tu m’aideras à me relever / Si je m’effondre, tu seras mon ami”).
Après une première journée de festival à circuler entre les différentes scènes, nous quittons le site du festival et avons déjà le programme du dimanche en tête. Nous fantasmons déjà sur le concert de Refused qui signera la fin de cette édition du Groezrock en apothéose. Cependant, la fête n’est pas encore terminée. Nous réglons nos réveils, époussetons nos hoodies et nous dirigeons naturellement vers “l’After du Groezrock” : le camping.
Crédit photos : Jennifer Wagner