Voilà trente ans que la ville d’Evreux laisse naître, à l’occasion de chaque dernier week-end de juin, le festival du Rock Dans Tous Ses Etats. Trois décennies au cours desquelles se sont réunies des milliers de festivaliers fanatiques de sonorités amplifiées dans toutes leurs dérivées rock.
Avec son camping collé au terrain du festival, ce festival se démarque indéniablement des autres où les kilomètres de marche assassinent les jambes et font de chaque déplacement une décision cruciale et irréversible au point de vue logistique. Ici, les allers-retours sont dans le domaine du possible au prix de quelques minutes de marche. Un camping, donc, qui constitue la moitié du charme de ce festival qualifiable de normand puisqu’ici, Haute et Basse Normandie sont enfin réunies au-delà de toutes démarcations régionales.
La première journée du festival ouvre ses portes à 17h mais la longue attente dans la queue d’accès au camping, qui nous permet de gagner deux bons mètres par heure, nous vaudra de manquer le premier petit groupe qui ouvre discrètement le festival, COLOURS IN THE STREET. C’est donc après avoir déployé les tentes deux secondes sous un temps quelque peu incertain, que nous pénétrons dans le festival. Le site est composé de trois scènes (A, B et Gonzomobile), parmi lesquelles il est facile d’alterner tant la distance qui les sépare est petite.
Le premier concert à ne pas rater est celui des allemands de KADAVAR. Si vous ne les connaissez pas et que vous n’êtes pas encore tombé dans leur tourbillon stoner, leurs deux albums – “Kadavar” (2011) et “Abra Kadavar” (2013) – pourront facilement vous convertir. Malgré la présence d’un quart des festivaliers pour ce concert, lorsque ces trois grands maîtres vêtus de noir, et arborant une barbe aussi longue que leurs cheveux arrivent sur la scène B, le ton est donné: slam et pogo ne se font pas attendre. Avec leur alliage de rock progressif, psychédélique et de doom, ces êtres, exaltés de Black Sabbath et autres sonorités sombres et lourdes, envoûtent à coup de flamboyant élans capillaires et charment comme trois messagers de l’apocalypse. De l’envoutant “Living In Your Head” en passant par la véritable tornade sonore, “Doomsday Machine”, single de leur dernière sortie, les trois sorciers, Wolf, Mammuth et Tiger, ne donneront qu’un trop court set, d’environ une demi-heure mais suffisant pour introduire l’esprit musical de ce week-end.
Après avoir flirter du côté des démons beatniks de Kadavar pour goûter à la sorcellerie de leur stoner chamanique et DARKO sur la Gonzomobile, ce sont les belges d’ABSYNTHE MINDED qui enchaînent sur la scène principale. Désormais sur les routes depuis 1999, le groupe sert un pop rock calme qui rallie les foules et entraîne avec douceur dans le festival qui se remplie en même temps que ses queues d’accès s’agrandissent.
Les passages d’un groupe à l’autre, qui se font par intermittence entre les deux scènes principales A et B, se déroulent dans la plus grande fluidité et les artistes s’enchaînent sans se marcher les uns sur les autres, au plaisir des 50 000 oreilles présentent sur le terrains. De plus, c’est sans vergogne aux environs de 20 heures que les compatriotes belges de BRNS enchaînent sur la scène voisine, offrant, avec leur son indie rock, une musique pop et colorée.
Au même moment passent sur la petite scène Gonzomobile, les merveilleux de CURTIS JOHNSON BAND. Comme on le dit d’eux, une voix, un groove; basse, trompette et soul sont leur eau de vie, avec leur blues énergique et authentique, ces sept gentlemen ravivent immédiatement la flamme rythm’n’blues et ceux qui cherchent une proximité musicale avec les artistes peuvent vivre un moment qui frôle le boeuf au fond d’une petite cave de Detroit dans les années 40, simplement nous sommes bien 2013.. que demander de plus ?
Changement de scène pour assister au concert de BAND OF HORSES. Avec leur univers de balades forestières romantiques, les américains nous prennent avec un gant de soie pour emmener le public, au cours d’une promenade de décibels, vers les horizons indie rock. Le public est transporté et laisse fleurir un champs de bras levés en l’air qui se transforment en mer de vagues rythmées par les sauts des spectateurs.
Ayant pour vertu de flirter avec toutes les dérivées du rock, il ne faut pas être surpris quand elle adopte la forme d’un rap abrasif et révoltant. Les attendus de DOPE D.O.D. débarquent sur scène avec leur hardcore hip hop et un nouvel album en poche, “Da Roach”, sortie en avril dernier. Comme une sorte de rituel vaudou, les quatre américains appellent la nuit et agitent la foule en ne la rafraichissant pas d’eau mais bien du trois quart de leurs bouteilles de Jack Daniels et de vodka. Mouvement de foule proche de la baston générale, la formation est proche de l’audience et balance son flow rap US offensant avec toute la folie qui lui est propre. Au même moment, LASCAUX joue sur la Gonzomobile.
C’est la scène A qui accueille le retour des KLAXONS. Avec un dernier album en date de 2010, “Surfing The Voice”, la performance des londoniens reprend des tubes tirés de leurs deux premiers efforts et exposent quelques nouvelles créations. En précèdant le concert de Woodkid, cette attente se fait sur fond de sonorités pops aimantées vers les aiguës.
Brume, nuit et orchestre philharmonique, Yoann Lemoine aka WOODKID fait son entrée sur fond de rétroprojection de cathédrale, pour embarquer la foule dans son univers pop baroque avant même de commencer ses propres chansons alors que BURNIE & SON BATARD se produit sur la Gonzomobile pour son premier des deux concerts du festival. Les effets de scène et le rythme des tambours introduisent la virtuosité d’une musique hollywood sadcore, et le jeune prodige français commence à entonner son ode à la nuit. Revenant d’une tournée américaine, Woodkid nous livre une bonne partie de son dernier album, “The Golden Age”. Cependant, malgré une prestation qui se déroule dans la plus grande majesté, il peine à trouver une véritable énergie et offre un concert quelque peu apathique.
C’est à minuit et quart que THE XX se présente sur scène et reprend le flambeau de l’ode à la nuit introduite par Woodkid en nous accompagnant de leur musique indie rock expérimentale au son cristalin. Ambiance minimaliste et sonorités épurées sont indéniablement la marque du groupe, qui malgré un album sorti en 2011, semble ne pas avoir beaucoup évolué depuis ses débuts. Un enchaînement d’ambiance qui se fait certes dans une certaine logique mais qui, par manque d’énergie et d’ardeur, donne une prestation endormie, certes propre à la nature planante des XX, mais fondamentalement dû à l’organisation de la programmation qui aurait sans doute dû entrecroiser ces deux groupes avec un son plus vigoureux, histoire de tenir le public en éveil.
BONAPARTE, l’électro punk des deux frères et soeurs, Enguérand et Eléonore, des CARBON AIRWAYS et MR MAGNETIX fermeront la marche de ce premier jour de festival.
Une journée musicale qui se clôture certes pour les festivaliers mais non pour les campeurs dont les marques temporelles ne trouvent plus leur importance. Le mysticisme de Kadavar, la véhémence du rap de Dope D.O.D. et la majesté de Woodkid auront tous les trois essentiellement marqués cette journée d’ouverture qui nous fait alors patienter avec beaucoup d’engouement en attendant le lendemain.
Crédit photos : Robert Gil