Il y a vingt et un ans, Massive Attack nous livrait “Mezzanine”, album sombre, engagé et aujourd’hui toujours considéré comme son meilleur et une œuvre majeure du trip hop. Les musiciens étaient lundi et mardi soir au Zénith de Paris pour célébrer cet anniversaire, ou plutôt anti-anniversaire.
Le fait de célébrer vingt-et-un ans et non classiquement vingt ans aurait du nous mettre la puce à l’oreille. En effet ce qui s’apprête à être livré est tout sauf classique. Et l’absence de première partie ne fait que rajouter du soupçon. 20h45 pétante, toutes les lumières d’un Zénith plein à craquer s’éteignent et il faudra attendre cinq bonnes minutes avant de deviner les silhouettes du groupe monter sur scène.
Après l’attente, l’agression, et le mot est faible, car il fallait et fermer les yeux et porter vingt-deux paires de bouchons d’oreille pour survivre à l’intro du set où synthé saturée à fond les ballons et l’écran central saturé de blanc nous annonçaient que nous allions être dans une soirée Happy Birthday. “Mezzanine” est une œuvre sombre, 3D pas le pote souriant, mais on le comprendra plus tard, ce set ne sera pas qu’un simple concert mais bien un concept total.
Et toutes les recettes dites classiques des concerts actuels continuent d’être bousculées avec le premier morceau joué. Plutôt que de débuter le show avec un morceau du disque célébré, les Bristoliens nous livrent une reprise du Velvet Underground “I Found A Reason” et non sans une ironie soutenue par les premières réelles images projetées nous montrant une ville du bonheur, où tout le monde est heureux et finissant sur les tristes Tony Blair, Saddam Hussein et enfin Britney Spears au bord de la crise de nerfs harcelée par une meute de journalistes. Toute allusion avec l’actualité est pure coïncidence.
“Nous avons cru que les données allaient nous libérer”, précède l’entrée sur scène de Daddy G, autre membre fondateur du groupe et le morceau “Risingson”. La tonalité est donnée. Ni bonjour, ni merci. Mais peu importe, car ce soir il s’agit d’assister une œuvre en live, où la cohérence sert à délivrer des messages étonnamment positifs, dénonçant tour à tour l’hypocrisie de l’entertainment, les totalitarismes, la culture du “like”, les guerres au moyen orient et une société vampirisé par les écrans, délaissant le réel. Il s’agira d’ailleurs du dernier message livré nous exhortant de nous libérer de nos fantômes et construire un réel avenir.
Quiconque ayant déjà assisté à un concert de Massive Attack sait combien le message politique est présent. Mais pour cette tournée, la scénographie a été totalement revue et le moindre détail sert le propos. Tout suit une ligne directrice, un arc narratif, sans jamais faire oublier qu’il s’agit d’un concert. Et il faut l’avouer, difficile d’oublier vu le volume sonore qui est peut être le seul point noir du set. Un son trop fort, des basses et des batteries, il y en a deux, crevant tympans et organes. L’intro puissante du “Bela Logusi’s Dead” de Bauhaus nous achèvera.
“Mezzanine” sera joué dans son intégralité, en alternance avec des reprises judicieuses. Annoncée il y a quelques semaines, Elizabeth Fraser des Cocteau Twins est de la partie. Sa voix reste parfaite, posée et maitrisée et sans surprise “Teardrop” débutera sous un tonnerre d’applaudissement du public KO et peut être déconcerté par la soirée. Autre compagnon de route de longue, Horace Andy rejoindra la formation sur l’un de ses propres morceaux “See A Man’s Face” et apportera d’ailleurs un peu de légèreté nécessaire.
“Group Four” clôture ce set dense, puissant et éprouvant. Le morceau débutera avec un clin d’œil à un autre fantôme, Avicii. La soirée étant sous le signe de l’antithèse des bonnes recettes, il n’y aura pas de rappel et c’est salutaire, non pas qu’on serait resté un poil plus longtemps, mais la cohérence est de mise.
Massive Attack est l’un des rares groupes pouvant et osant les non-concessions. Tout fonctionne et cette tournée ne laissera personne indifférent. Certains regretteront le manque de communication, peut être ceux qui ont adoré filmer avec leurs smartphones. D’autres ont peut être fini sourds, c’était vraiment très fort, mais il ne s’agissait pas ce soir de laisser le public dans la torpeur dénoncée tout au long de cette soirée. L’éveil était bien le but.