En programmant le seul concert en France de Billie Eilish cette année, Rock En Seine a voulu frapper un grand coup pour son édition 2023. Retour sur quatre jours de fête au Domaine National De Saint-Cloud.
Les incontournables
Billie Eilish (Grande Scène)
Tête d’affiche incontournable de cette édition, la Californienne est attendue de pied ferme (parfois depuis la veille) par un public très familial venu braver la chaleur. L’impatience est palpable, et de nombreuses reprises des titres de la jeune femme s’improvisent pour tromper l’attente. Il est 22h00 quand une nuée de portables s’élève, réussissant l’exploit d’être plus nombreux que les T-shirts à l’effigie de la star du jour. Celle-ci entame son récital par “Bury A Friend”, repris à pleins poumons. Le son est très bon, mais est parfois couvert par l’intensité des paroles scandées. “Vous voulez vous amuser ?“, lance Billie.
Cette dernière joue avec les codes de la pop, prenant des postures lascives avec ironie sur “Therefore I Am”. Tout au long de ce set, elle réussira l’exploit de délivrer un show massif mais toujours authentique. Loin de l’image taciturne qu’elle peut véhiculer sur disque, c’est une boule de nerfs rayonnante qui s’amuse à mener le public à la baguette. Elle s’adonnera même à une partie de “Jacques a dit“, faisant sauter et remuer les têtes et les mains au gré de ses sollicitations.
La setlist est quasi-identique au concert parisien de l’année dernière, à l’exception notable de “What Was I Made For?”. Véritable moment de grâce, cette chanson tirée de la bande originale de Barbie est déjà largement adoptée. Piochant dans tout son répertoire, l’intensité est toujours maintenue grâce à une gestion du rythme admirable. La moitié du concert sera ainsi l’occasion de passer de la folie de “Oxytocin” et de ses sauts collectifs, à un passage acoustique. Troquant les orchestrations électro-dubs pour un duo guitare/voix partagé avec son frère Finneas (chaudement ovationné), le contraste est superbe. Le trio “Your Power” / “I Love You” / “TV” s’avère être une parenthèse très touchante, s’achevant à la lumière des flashs.
Avant d’entrer dans la dernière ligne droite, l’artiste improvise une séance de relaxation avant “When The Party’s Over”. De quoi reprendre des forces avant le final renversant ! À peine le temps de se remettre d’un “Bad Guy” conclu par un lâché de confettis, que débute le chef-d’œuvre “Happier Than Ever”. Le cri du cœur “You make me hate this city!” est hurlé avec une ferveur invraisemblable (qui fera sourire l’Américaine), avant la déflagration finale, mêlant jets de flamme et feu d’artifice. Sans aucun doute LE moment le plus marquant de ce Rock En Seine. Le public est aux anges, tout comme l’artiste qui décide de s’offrir un bain de foule le long des barrières. Un nouveau triomphe pour une chanteuse détonante, qui aura prouvé que si “The Adults Are Talking“, c’est bien elle qui a la formule magique pour rendre un public “Happier Than Ever“.
Boygenius (Grande Scène)
Le supergroupe, composé entièrement de femmes talentueuses – Phoebe Bridgers, Julien Baker et Lucy Dacus – offre un set qui restera gravé dans les mémoires. Elles entament une performance acoustique envoûtante, qui évolue rapidement vers une électrification captivante. L’énergie monte d’un cran avec l’arrivée sur scène de quatre musiciennes additionnelles, créant un ensemble musical à la fois puissant et harmonieux.
La distribution équilibrée des parties vocales entre toutes les musiciennes est à la fois impressionnante et captivante. L’enthousiasme du public, composé de fans venus spécialement pour ce groupe exceptionnel, est palpable et résonne dans chaque note.
Les échanges avec l’auditoire se font en français grâce à Lucy Dacus, renforçant le lien intime entre les artistes et leur auditoire français. Cette connexion renforce l’impact émotionnel de chaque morceau.
Le set est un savant mélange de compositions acoustiques et électriques, offrant une palette musicale variée et envoûtante. Une touche inattendue survient lorsque les chanteurs de Turnstile et de Viagra Boys montent sur scène pour prêter leurs voix à “Satanist”, ajoutant ainsi une dimension supplémentaire à cette performance déjà mémorable.
L’assemblée, profondément impliquée et passionnée, reprend en chœur les paroles, créant une communion digne des concerts de Billie Eilish.
Sous les projecteurs, se déroule un moment indie rock exceptionnel, alternant entre ballades émouvantes et compositions électrisantes. L’authenticité de cette prestation est indéniable et va bien au-delà des aspects commerciaux, faisant ressentir la sincérité des musiciennes sur scène.
Chacune à leur tour, les musiciennes prennent la scène, créant une dynamique visuelle envoûtante. Lors d’une chanson particulièrement émouvante, “Letter To An Old Poet”, Phoebe demande à juste titre que les téléphones portables soient rangés, une demande respectée à la lettre, plongeant ainsi le public dans une expérience immersive totale.
La clôture du set est grandiose alors que Phoebe et Lucy se lancent dans un crowd surfing envoûtant, créant un moment de communion intense avec le public. Indéniablement l’un des temps forts du festival !
Placebo (Grande Scène)
Quelques minutes avant le concert, la foule déjà bien compacte et impatiente prend connaissance de messages vocaux et visuels encourageant à limiter l’usage de son téléphone durant la prestation du groupe. Par respect pour les artistes et les autres fans. La consigne sera globalement bien respectée, ce qui créera une atmosphère à l’ancienne, comme on les aimait tant.
Brian Molko, Stefan Olsdal et leurs compagnons de route ont l’air heureux de conclure leur longue tournée à Paris. Tellement que cinq minutes avant l’horaire prévu, la Grande Scène se pare de mille couleurs, et Placebo apparaît devant ses fans. “Forever Chemical” et “Beautiful James” résonnent dans le parc de Saint-Cloud. Mais l’ambiance est sur courant alternatif. Loin d’être des bêtes de scène au magnétisme époustouflant, les Britanniques, cachés derrière leurs instruments, ont du mal à captiver et à occuper l’espace.
Les titres s’enchaînent, les échanges avec le public sont limités. Comme lors du passage du groupe à l’Accor Arena fin 2022, la setlist fait la part belle à Never Let Me Go, son dernier album en date. Musicalement parlant, rien à dire, tout est en place, le son qui sort des immenses enceintes est bien mixé, la voix singulière de Brian Molko est bien mise en valeur.
L’ambiance commence enfin à décoller lorsque Placebo joue sa valeur sûre “Song To Say Goodbye”, suivie de l’iconique “The Bitter End” dont l’intro fait monter le niveau d’excitation du public. Les reprises de “Shout” (Tears For Fears) et l’habituelle “Running Up That Hill” (Kate Bush) viennent conclure le set. Et la communion tant attendue entre le duo et son audience prend enfin vie. La passivité d’une grande partie du public notamment lors de l’interprétation des titres les plus récents du groupe couplée à l’attitude quelque peu nonchalante du duo auront eu du mal à rendre ce concert mémorable. Toutefois, il faut reconnaître que Placebo occupe une place à part dans le paysage rock, leur longévité en est le témoin.
Cypress Hill (Grande Scène)
Après un warm up de cinq minutes opéré par DJ Muggs, les remplaçants de dernière minute de Florence + The Machine, absente pour raisons de santé, investissent la Grande Scène.
Faisant figure d’ovni dans la programmation musicale du festival, Cypress Hill est surtout un groupe mythique, dont l’influence va au-delà de la sphère hip hop. Il suffit de regarder l’immense foule, sourire aux lèvres, qui se presse à grandes enjambées pour arriver à l’heure.
Le quatuor insiste à plusieurs reprises sur l’énergie qu’il veut transmettre à son public ce soir, et l’invite plus d’une fois à danser, sauter ou crier. Toutes les générations sont réunies et passent un bon moment, preuve de la longévité extraordinaire de Cypress Hill. Ce soir, ils fêtent les trente ans (déjà) de leur album phare Black Sunday.
La fin du show est explosive, les Américains envoient tout. Les basses vrombissent, les guitares accélèrent, le beat gagne en puissance. Mission accomplie. En plus d’avoir réussi à faire vivre un grand moment de nostalgie à ses fans, Cypress Hill est parvenu à se fondre dans la programmation de Rock En Seine, et a tenu son rang de remplaçant de luxe.
The Chemical Brothers (Grande Scène)
Il fait nuit quand Tom Rowlands et Ed Simons investissent la Grande Scène. Et c’est tant mieux ! “Go” retentit comme pour donner le départ d’un set haut en couleurs. Chaque titre est en effet accompagné d’un univers visuel léché. Les morceaux s’enchaînent grâce à des transitions travaillées. Toutefois, quand la musique ose s’arrêter pour mieux repartir, le compact public amassé devant la Grande Scène salue le talent du duo bruyamment.
Nous assistons à une véritable prestation, orchestrée d’une main de maître, tant musicalement que visuellement. Le groupe électro au style inclassable a l’air d’avoir trouvé sa place sans peine au sein de la programmation, tant la connexion avec l’assistance a l’air instantanée et limpide. Les festivaliers s’amusent avec les ballons envoyés au-dessus de leurs têtes, s’amusent à crier “Here we go!” sur “Hey Boy Hey Girl”, et finissent par saluer longuement les deux chimistes du son, dont la prestation “pas-de-côté” aura su séduire Saint-Cloud.
Foals (Grande Scène)
Bien connu des fidèles du festival, Foals y fait ce dimanche sa quatrième apparition. Acclamés à leur arrivée sur la Grande Scène, les membres entonnent “Wake Me Up”, faisant danser instantanément l’assistance. Le groupe envoie du lourd tout au long de sa prestation. Le quatuor propose un live rock sublime, bien mis en valeur par des musiciens additionnels. Le son caractéristique puissant a l’’air d’avoir été pensé pour le live.
Parsemé d’électro, doté de vibrantes lignes de basses, animé par une batterie puissante, et sublimé par la voix puissante de Yannis Philippakis, le son de Foals agit sur la foule comme une véritable déflagration de bonne énergie.
À la tombée de la nuit, les images aux couleurs pétantes qui défilent derrière la bande sont du plus bel effet. Tout à la fois vigoureux, captivant et émouvant, le set du groupe constitue indéniablement l’un des moments forts de cette édition. Comme pour concrétiser la symbiose avec le public, Yannis vient à leur rencontre devant les crash-barrières.
Une énergie sans pareil se dégage de ce concert, si bien qu’on aurait aimé voir Foals clôturer en beauté ce Rock En Seine 2023. Malheureusement, il fallait trouver plus vendeur.
Les déceptions
Snail Mail (Grande Scène)
Il est maintenant venu le temps de faire la connaissance de Lindsey Jordan, alias Snail Mail. Que la Grande Scène semble immense pour la jeune femme et son indie rock ambivalent. À la fois intimiste et fédératrice, sa musique, bien qu’empreinte d’authenticité, a du mal à captiver l’auditoire.
Cachée derrière sa guitare et son pied de micro, elle propose des titres au tempo assez lent, qui se ressemblent tellement que le public semble peiner à apprécier la sensibilité qui s’en dégage. La scénographie simpliste n’arrange pas la dynamique de l’ensemble : son nom écrit en blanc sur un écran rouge, devant lequel performent son batteur et son bassiste. Punto. Une scène plus petite, facilitant la proximité, aurait peut-être été plus appropriée pour Snail Mail.
The Strokes (Grande Scène)
Leur retour dans la capitale était très attendu. Ils ont clôturé cette édition 2023 de Rock En Seine. La pelouse est pleine à craquer. L’impatience se fait sentir. Pourtant, c’est avec dix minutes de retard que The Strokes foulent les planches de la Grande Scène. Sur un système d’estrades et de triangles lumineux, on a du mal à distinguer les membres du groupe, cachés dans l’obscurité et sous une fumée épaisse.
Chaque titre est accueilli avec ferveur par un public qui, depuis de nombreuses années maintenant, a participé à placer les Strokes et leur œuvre très haut sur la scène rock. “Last Nite”, “Is This It”, “Hard To Explain” et bien d’autres encore font se trémousser d’impatience la pelouse. Mais l’ambiance ne décolle jamais vraiment et nous assistons à un triste spectacle, horriblement gênant.
Collé à son pied de micro, Julian Casablancas enchaîne les vannes embarrassantes, ne sait pas quel titre il doit chanter. Sauvé par son groupe à de multiples occasions, Julian marmonne ses paroles (et ce n’est pas toujours juste), sans volonté de nouer un lien avec l’assistance, qu’il finira même par critiquer pour son côté trop silencieux à son goût. Le concert est court, haché.
Pour couronner le tout, d’innombrables soucis techniques viennent encore plus plomber la soirée. On avait tour à tour l’impression d’écouter un disque rayé, ou alors d’assister à la répétition du groupe du lycée pour la kermesse qui approche. Une véritable bouillie de musique.
Le mépris insoutenable de Casablancas pour ses fans parisiens a fini par en dégoûter plus d’un. Des grappes de festivaliers s’échappent du Domaine National De Saint-Cloud. La malédiction Rock En Seine a-t-elle encore frappé ?