Ce n’était pas un exercice. Annoncé comme sa “toute première tournée d’adieu” (on apprécie l’ironie), le This Is Not A Drill de l’illustre Roger Waters faisait deux arrêts à Paris. L’occasion de vivre le meilleur de Pink Floyd avec l’un de ses membres fondateurs.
À un peu plus d’un quart d’heure du début du show, le tonnerre retentit dans la salle. Suivi des exclamations du public et notamment d’une fosse fourmillante. Si l’arena n’est pas sold out, elle en a en a l’air. Les sièges vides se font rares sur cette première date. Malgré ses tournées fréquentes, c’est un petit événement chaque fois que Roger Waters se produit.
Il y a un gouffre qui sépare désormais le bassiste de David Gilmour. Les différentes tournées du Britannique sont ainsi le seul moyen de vivre les morceaux du groupe en live avec l’un de ses membres fondateurs. Et que ses détracteurs le veuillent ou non, Roger Waters est la voix et la plume de Pink Floyd sur les albums cultes.
The Bar
Quiconque n’étant pas à l’aise avec les idées politiques de Waters peuvent bien “aller se faire voir au bar“. C’est ce qui est annoncé sans cérémonie au début du concert. Le public applaudit chaleureusement, et pour cause, ce n’est une surprise pour personne. Roger Waters a toujours été éminemment politisé. Que ce soit déjà à l’époque de Pink Floyd ou lors de sa carrière solo. Les thèmes et paroles des morceaux ont toujours été imprégnés des prises de positions du musicien. Peu surprenant non plus de voir que l’Anglais a beaucoup de choses à dire lors de ses concerts.
Le “bar“, en plus d’être le titre de son dernier morceau, est aussi selon Waters un endroit allégorique dans lequel chacun d’entre nous pourrait discuter et échanger des opinions avec des “étrangers” sans aucun jugement. Le fil rouge de la soirée.
Tout au long de la soirée, le chanteur incite à la rébellion contre le capitalisme et contre les dirigeants du monde. Tout en pratiquant des prix exorbitants sur sa tournée. Ce ne sera pas le seul paradoxe de cette soirée. Dans le même registre, le chanteur assène de violents uppercuts aux présidents américains, qualifiés de criminels de guerre, tout en passant sous silence ce qui se passe actuellement sur d’autres continents.
Us + Them
Au fil des deux heures de concert, les écrans se chargent d’images de bombardements sur des civils, de soutiens à Chelsea Manning et Julian Assange, d’images de violences policières. Tout y passe. Waters déroule sa diatribe autant dans les paroles que sur les écrans. Les morts de George Floyd, Breonna Taylor ou encore Adama Traoré sont évoquées. Au même titre qu’une certaine Anne Frank, dont la mention, au beau milieu de polémiques sur son antisémitisme supposé, sonne comme une caution pour se prévenir de davantage d’accusations plutôt qu’à un geste sincère.
Avant même le début des hostilités, le musicien en a profité pour diffuser un message expliquant au public qu’un tribunal allemand l’avait récemment blanchi d’antisémitisme et l’autorisait ainsi à jouer le 28 mai à Francfort. Même si le message est sincère, une petite partie de nous ne peut s’empêcher de penser que toute cette communication autour de la polémique est forcée.
In the flesh
Côté spectacle -car finalement c’est le plus important- l’ex-chanteur de Pink Floyd livre un show à la mesure de sa carrière. Mais aussi de l’héritage de son groupe mythique. À presque quatre-vingt ans, le Britannique, accompagné de son excellente troupe de musiciens, ne semble pas se ménager. L’énergie n’est plus la même qu’il y a des décennies, mais l’envie reste là. Et la voix, malgré le temps passé, aussi.
Côté setlist, le chanteur décide de satisfaire les fans en jouant une grande majorité de titres de son ancien groupe. Et pas des moindres. Les morceaux iconiques de The Wall (1979) arrivent dès les premières minutes du set. “The Happiest Days Of Our Lives” puis le dément “Another Brick In The Wall Pt. 2” sont repris en chœur par l’assemblée.
De façon peut-être pas très surprenante, les morceaux du musicien Roger Waters en solo récoltent moins d’ovation. Même ceux présents sur son dernier album avec Pink Floyd, The Final Cut (1983), ne sont pas aussi bien reçus que les classiques. Cela ne veut pas dire que l’audience boude son plaisir. À la fin du premier set, le groupe sert un cocktail venu de Wish You Were Here (1975) et le morceau-fleuve “Sheep”, tiré de Animals (1977).
La fin du second set est quant à elle tout autant jubilatoire. La formation joue l’intégralité de la seconde moitié de The Dark Side Of The Moon (1973), en commençant par le cultissime “Money”. La qualité des musiciens fait que l’on croirait parfois entendre la version de l’album. Bluffant. L’arena de Bercy est aux anges. Et en prend plein les mirettes.
Any colour you like
Visuellement, la tournée This Is Not A Drill est impeccable. Le choix d’avoir une scène centrale joue beaucoup dans l’immersion et l’implication de l’auditoire mais peut parfois être mal adaptée. Ici, il n’en est rien. La scène est suffisamment large et surélevée pour que tout le monde, des premiers rangs de la fosse aux gradins les plus perchés, profite du spectacle.
L’ensemble de la scène est surmontée d’une installation d’écrans massive, qui se suspend ou s’abaisse au-dessus des musiciens en fonction de la scénographie. Sur l’introduction, accompagnée d’images de gratte-ciels délabrés sur lesquels s’abat une plus battante, les écrans viennent même cacher la troupe. Ce n’est qu’à partir du deuxième morceau que ceux-ci se relèvent pour dévoiler la scène.
Quand ce ne sont pas des images réelles (bombardements, violences, etc.), ce sont des animations qui prennent le relai. Les thèmes restent les mêmes, de toute évidence, mais le travail réalisé sur ces passages est de très bonne facture. Le véritable clou du spectacle intervient à la fin du second set. Alors que la partie Dark Side Of The Moon touche à sa conclusion, une batterie de lasers autour et au-dessus de la scène viennent former une série de triangles lumineux, évoquant l’iconique pochette du disque. Un sacré coup de génie.
N’oublions pas non plus de mentionner la présence de ballons gonflables géants, pilotés à distance. Ceux-ci, à l’effigie d’un mouton et d’un porc, ont parcouru l’arena en long en large en travers. En bref, un bien beau spectacle.
Barrett honoré, Gilmour effacé
Quand les écrans ne sont pas mobilisés pour différents messages politiques, ils diffusent des images d’archive de Pink Floyd. Comme une sorte de rétrospective autobiographique. Cet aspect est d’autant plus valable que des anecdotes signées par Waters s’affichent à plusieurs reprises sur les écrans.
Celles qui retiennent l’attention concernent évidemment l’ancien leader du groupe et ami de longue date du bassiste, Syd Barrett. Un hommage appuyé qui ne manque pas d’émouvoir. En particulier lorsque Roger et ses musiciens entament “Wish You Were Here”, rapidement entonné par l’Accor Arena toute entière. Puis de basculer sur la deuxième section de “Shine On You Crazy Diamond”, absolument magnifique.
Si le regretté leader de Pink Floyd est mis à l’honneur, un autre membre du groupe est quant à lui effacé par Waters. Il s’agit de David Gilmour, le guitariste légendaire à qui l’on doit quelques-uns des solos les plus connus de l’histoire. Une volonté claire de la part de Roger Waters, qui est flagrante dès l’ouverture, “Comfortably Numb”, jouée en duo orgue/voix. Malgré la beauté de la nouvelle version 2022, on ne peut s’empêcher de regretter un peu de ne pas entendre une version plus proche de celle présente sur The Wall, avec les deux soli incroyables du guitariste.
Mais ce n’est pas tout. Gilmour est également occulté dans toutes les images du groupe diffusées sur les écrans. Si on comprend son absence pour la période Barrett, les images des époques suivantes sont systématiquement tronquées pour ne pas montrer son visage. Ambiance.
All in all
C’était un show très bien rodé. Encore une fois, on peut contester certains choix, mais les fans de l’un des meilleurs groupes de l’histoire ont été contentés. Des fans de toutes tranches d’âges : des plus jeunes qui n’ont pas vécu cette époque, aux plus vieux qui y étaient. Preuve que l’héritage de ce groupe risque bien d’être intemporel. Roger Waters, du haut de ses presque quatre-vingt ans, n’a pas vacillé sous le poids de cet héritage. Bien au contraire, il en joue pour proposer ce qui est peut-être l’expérience Pink Floyd ultime venant de l’un de ses membres originaux en 2023.