En ce début de printemps, Saez et son “Miami Tour” posent leurs valises dans la capitale, pour deux dates, et bien entendu, RYL! y a été convié. Le soleil est présent dehors, mais le froid glacial presse la foule à l’intérieur. Avant le concert, un écran diffuse pubs et bandes-annonces de blockbusters hollywoodiens, pas trop l’esprit de ce soir, mais qu’importe, la foule, cosmopolite au possible, n’y prête aucune attention. Ils attendent la venue, messianique, du dernier poète écorché que la France ait couvée, et ce soir, il affiche complet. Une voix off annonce un concert en deux parties, avec entracte. Saez fait planer le doute sur un show lancé tel une pièce de théâtre, la foule bouillonne d’impatience.
Après presque trois quarts d’heure de retard, SAEZ apparaît seul, avec sa guitare et sous un tonnerre d’applaudissement. Une valse au piano se lance et “Quai De Seine” démarre, amorçant avec douceur la révolte tant attendue. Les briquets s’allument et un silence de cathédrale l’accompagne. “Tango” suit, la voix trésaille et explose déjà, par le trop plein d’émotion. Un petit salut de la tête au public avant de disparaitre dans le noir. L’applaudissement n’est pas terminé que “Marie” s’enchaine avec un accordéon qui fait son entrée. Dans cette pénombre, l’éclairage minimaliste donne l’impression d’assister à un songe qui a du mal à persister. Le reste du groupe débarque sur “Boléro”, retaillé pour la scène. À la manière d’un tribun qui appelle à la guerre civile, Saez crispe la foule, lève son doigt vers elle et d’un regard l’appelle ! Dans un voile bleuté et teinté de rouge, Saez, la voix forte et prenante, continue d’accuser et lance “Betty”. Zola germe sur scène, la révolution est en marche et se ressert à boire, un double whisky. Après s’être allumé une cigarette, Damien explose enfin avec “Les Printemps”, complètement remanié pour le live, plus incisif, plus corrosif, tel un tag à l’acide qui reste imprégné dans l’épiderme et frappe avec violence dans la moelle épinière. En conservant cette envolée de guitares et de batterie “J’Hallucine” suit logiquement et sans interruption. Plus tard, “Fin Des Mondes” se termine en apothéose de sur une vocifération reprise par la foule : “fuck you Goldman Sachs!”. Enfin, il parle à son public : “on va passer de l’autre coté de l’Atlantique”. “Miami”, diablement accrocheur, se lance, à ses côtés Théo, la capuche sur la tête, donne des élans de rap à ce morceau. Cette vision d’une civilisation en déclin envahit par le mercantilisme, fasciste au possible envenimé par les merdes télévisuelles du type “Les Anges De La Téléréalité”. Le Zenith le suit, le poing levé. Après une transition entre samba brésilienne et “Mama Say Mama Sa”, la guitare se relance avec un riff connu du public : “Pilule” dans sa version la plus punk, déchire la scène. La clope au bec, Damien laisse le public chanter à sa place ce morceau, que chacun connaît par cœur. “Cigarette” accompagne avant de partir dans la fumée bleutée rappelant l’asphalte. Le jeune marginale se ressert un verre et se rallume une clope avant d’exploser avec l’incroyable “J’Accuse”, lancé tel un pamphlet et accompagné de guitares tonitruantes. Tandis que la foule s’excite et se lance dans un pogo infernal, Damien stoppe net le titre et hurle : “J’accuse mon pays d’enculé !”, la plèbe exulte d’acquiescement.
Après un entracte d’une quinzaine de minute, SAEZ réapparait seul dans la pénombre et démarre, avec douceur son, “Into The Wild”, avant de balancer une pépite électro nommée “Rochechouart” : les déboires d’une matinée à Paris, une version cauchemardesque de “Il Est 5 Heures, Paris S’Eveille”. Toujours aussi fulgurant et impulsif, “Marie Ou Marilyn” fait exploser les guitares. Après, “Fils De France” se lance, écrit lors d’une élection où le FN passa au second tour, le texte reste cruellement d’actualité dans un pays où l’ombre de l’homophobie et du racisme persiste. Résolument révolutionnaire, “Ma Petite Couturière”, fait son nid dans la fourmilière avant de s’enivrer autour d’un trio de guitares, mirifiques et dantesques. Les femmes scandent le chant des travailleurs, la machine à coudre retentit au rythme de la batterie. Le calme revient, un roadie apporte une feuille au poète qui clame son pamphlet, dans la lignée des Victoires De La Musique. Celui-ci sera plus fort, plus intense, en total adéquation avec le bordel environnant qu’est le monde horrible dans lequel le petit peuple trime. Ce texte restera gravé dans les mémoires des partisans. Il en est au moins à son quatrième verre de whisky mais rien n’y fait, la voix porte et reste précise, le corps statique lançant le poing ici et là, le regard au loin, tourné vers un futur plus glorieux, avant de disparaître dans le noir totale. La foule hurle et exige un rappel ! Dans la lumière rouge Saez, vêtu tel un vieux loup de mer, revient et fait gémir les filles avec “Marguerite”. Il conclut avec un rictus : “de toute façon, j’ai toujours su que les filles étaient stupides”, et enchaîne avec le célèbre “Putains, Vous M’Aurez Plus”, midinettes pré-pubères et femmes presque cougars hurlent et chantent en chœur avec leur esthète. La guitare sèche voguant aux quatre coins de son cœur, le capitaine du radeau de la méduse s’amarre à son “Tricycle Jaune”, “sa chanson préféré”, confie-t-il au public. Vient l’inévitable “Je Veux Qu’On Baise Sur Ma Tombe”, comme il y a dix ans. La barbe et les cheveux gras en plus, Saez, accompagné d’un accordéon et d’une batterie, reste droit comme un I et pleure son amour pour son audience, qui ne l’a jamais lâché. Ça ne se terminera pas là, le groupe revient pour un deuxième rappel. Passé le moment émouvant de quelques mots clamés à la gloire de la foule qui l’acclame, Damien envoie “Tu Y Crois Toi ?” qui se termine sur un combat orageux entre trois guitares, dans un mélange à mi-chemin entre le psychédélisme d’Hendrix et le grunge de Nirvana, la batterie explosera ses toms afin de mettre un terme au concert. Pour ceux qui resteront jusqu’à la fin, Saez revient, messianique, la foule jette “On t’aime”. Le Ché répond : “non, c’est moi qui vous aime”, avant de finir seul avec sa guitare et en douceur sur “Chatillon-Sur-Seine”. Réellement ému, le maître termine à genou pour remercier ceux qu’il appelle ses frères, une dernière fois.
Le concert se termine à minuit vingt. Pendant plus de trois heures, ce poète aura fait vibrer, pleurer et exulter le Zenith. Dans la torpeur ambiante, la foule se disperse. Après un tel cabas de révolution et d’empathie, il semblerait sensé que cette foule, en osmose parfaite avec la tempête qui anime Saez, se lève et envoie valser ce petit confort inutile et instable qu’est notre société moderne. Rien n’y fait, tandis qu’une partie retourne mécaniquement à l’abattoir dans les couloirs du métro, une autre se faufile pour arriver le plus vite possible au McDo. Ton texte est entendu Damien, mais hélas très peu compris, aide ton peuple, ils sont tous devenus fous. Heureusement, au loin et sur un banc du Parc de la Villette, un petit groupe de jeunes se ressert à boire et fredonne, une dernière fois, “Un Jour Le Peuple Se Lèvera”.
Setlist :
Thème Quais De Seine
Tango
Marie
Elle Etait Profonde
Pour Y Voir
Betty
Les Printemps – J’Hallucine
Fin Des Mondes
Miami
Mix
Le Roi
Pilule
Cigarette – Voici La Mort – Massoud
J’Accuse
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Into The Wild
Rochechouart
Marie Ou Marilyn
Fils de France
Ma Petite Couturière – Les Anarchitectures 2 – Embrasons-Nous
Marguerite
Putains Vous M’Aurez Plus
Tricycle Jaune
On A Pas La Thune
J’veux Qu’On Baise Sur Ma Tombe
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Tu Y Crois
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Châtillon-Sur-Seine