Né dans les années 90, Snow Patrol a acquis une popularité planétaire dans les années 2000, notamment avec des tubes comme “Run”, “Chocolate” ou encore la fameuse ballade “Chasing Cars”. Les compositions pop rock envoûtantes et fédératrices des irlando- écossais, ainsi que la voix chaude et habitée de Gary Lightbody, ont séduit tous les publics à travers le monde… Tous ? Non. Jusque là, le public français a timidement goûté à l’intensité de la musique du quintette. En nous rencontrant aux Studios de la Seine à Bastille et en nous présentant en exclusivité leur nouvel et ambitieux album “Fallen Empires” (sortie le 14 novembre), les généreux Snow Patrol corrigent le tir.
Confortablement installés, nous nous apprêtons à écouter dans une version de qualité cet énigmatique nouvel opus. C’est un peu comme regarder un film en HD, sauf que là, on vous parle de musique. Bref, l’album est lancé. “I’ll Never Let Go”, chanson électro avec choeurs attendus. S’ensuit le premier single, “Called Out In The Dark” : accessible, l’élaboration de ce titre bien ficelé mais sans grand intérêt, a bénéficié de l’aide du fringant guitariste Troy Van Leeuwen (ex-A Perfect Circle, Queens Of The Stone Age). En même temps, “Fallen Empires” a été enregistré en partie aux studios Rancho de La Luna, qui a vu naître les “Desert Sessions” et des albums des Queens Of The Stone Age. Même Michael Stipe (ex-REM) et la jeune et talentueuse artiste folk Lissie ont posé leurs pattes et soutenu les Snow Patrol dans leur écriture. Pourtant, pour le moment, nous sommes sceptiques face à cette pop prévisible qui n’a, a priori, pas grand rapport avec l’identité artistique de Snow Patrol. Seulement, le troisième morceau, “The Weight Of Love”, efface nos doutes. En plus du chant plus libre de Lightbody, qui déclame, interprète plus qu’il n’adresse ses paroles, “The Weight Of Love” présente cette suspension – comme si le temps s’arrêtait, et si les choses pouvaient déployer leur beauté au ralenti – propre à la musique d’Arcade Fire. Finalement, on dirait bien que les cinq musiciens ont mis la barre haut. Cette ambition se confirme sur l’excellent “This Isn’t Everything You Are”.
À la fin de ce quatrième titre de “Fallen Empires” annoncé comme le second single, l’écoute est interrompue. Il paraît que Snow Patrol nous attend. Nous traversons le salon, entrons dans la pièce suivante et trouvons Gary Lightbody (chant), Nathan Connolly (guitare) et Johnny McDaid (claviers), décontractés, et déjà prêts à nous offrir une petite session acoustique dans un cadre intimiste. La sérénité des musiciens nous conquièrent avant même qu’ils n’aient commencé à jouer “Called Out In The Dark”. En découvrant cette chanson sous sa forme minimaliste, nous réalisons que, bien que marquant une rupture avant les anciennes compositions, les morceaux de “Fallen Empires” sont construits sur des bases typiques de Snow Patrol. Après l’interprétation du premier single du groupe, Tom s’amuse de nos applaudissements hésitants et ça repart. Les Snow Patrol Moins Deux sont progressivement absorbés par l’ambiance nostalgique de “This Isn’t Everything You Are” et emportent l’assistance avec eux. Enfin, l’extrait de “New York” qui nous est joué paraît bien plus doux… mais aussi bien plus anecdotique que dans sa version studio. Lightbody chante toujours comme il respire mais sans la fin dense et pesante du morceau dans son intégralité, nous restons sur notre faim. Les trois comparses, en pleine campagne de promotion, doivent nous quitter.
Nous nous réinstallons dans le petit salon pour découvrir les dix autres morceaux de “Fallen Empires”. “The Garden Rules”, balade sur laquelle nos oreilles distinguent la voix de Lissie plus nettement que ses autres interventions, capte notre attention. Mais alors que nous avons reporté notre attention sur cet album studio épatant, le charmant Gary Lightbody passe la tête par la porte et nous remercie pour cette rencontre. Décharge électrique. Mmmmh. Nous autres journaleux bredouillons des “thank you” et des “good luck”, trop ébahis pour produire quoique ce soit de cohérent après avoir assisté à la performance d’un groupe si avenant, généreux et rayonnant. Mais le début de “Fallen Empires” nous rappelle à l’ordre. Morceau pop électronique entre la dance des années 1990 et le tube façon Moby, “Fallen Empires” tranche avec la solitude de “Berlin”, où nous sentons encore une fois l’influence d’Arcade Fire. Les refrains qui ponctuent les fins de morceaux (“This is all I ever wanted for life” ferme, en boucle, “Lifening”) font inévitablement penser à Coldplay-moins le côté enfant de choeur. La recherche au niveau des percussions, qui caractérise le sublime “In The End”, met un terme à toute comparaison avec le poids lourd londonien. C’est plutôt vers des références modernes que nous sommes dirigés : le dansant (si, si) “The Symphony” et sa rythmique à la Hot Chip nous font douter de l’identité de leurs auteurs. Mais c’est cool. De toute façon, la pesante ligne de piano de “New York” et les moments de méditation proposés par “The President” et “Broken Bottles From A Star”, les deux derniers titres de cet album, contrebalancent cette légèreté. À la fin de cette écoute, xylophones, drum beats et pianos squattent encore nos esprits. Et pour un groupe comme Snow Patrol, malgré l’anecdotique “Thoses Distant Bells”, ça, c’est une preuve de qualité.
Eclectique et couillu, l’indispensable “Fallen Empires” résonnera dans nos têtes pendant un bon, long, agréable moment. Pour cet album, les membres de Snow Patrol n’ont pas fait des chansons mais de la musique, purement et simplement. Et ça marche. Sereins et épanouis, les cinq rêveurs éveillent des zones de sensibilité inconnues… Surprenants empires déchus. Irrésistibles Snow Patrol. Comment peut-on ne pas les aimer ?