A l’occasion des vingt ans de la sortie de l’album culte “Last Splash”, deuxième effort studio du groupe sorti en 1993, les sœurs Deal et leur bande reviennent chauffer les planches parisiennes du Trianon. Parmi le public venu nombreux entendre le fameux “Cannonball” en live, (apparemment !) beaucoup de lesbiennes ont fait le déplacement pour applaudir leurs “Breeders” (terme qui désigne les hétérosexuels pour les homosexuels américains).
19h30. Un petit mouton en peluche et un sac à main rouge attendent accrochés au pied de micro, et la ponctuelle ODYL (OVERDOSE YOUR LIFE) démarre toute seule à la guitare avant d’être rejointe par son groupe en cours de morceau. Entourée d’un guitariste dreadlocké, d’un batteur à moustache, et d’un bassiste à Wayfarer, la chanteuse éjecte la fleur en tissu qu’elle avait dans les cheveux en headbangant sur sa guitare à pois. Dès le départ, elle donne le ton : perchée sur des boots à talons aiguilles, elle fait penser à Izïa Higelin dans sa manière de cambrer les reins sur des textes saignants : “allez petite montre nous tes couilles si t’en as “. Le public est poli, mais elle demande à se faire applaudir encore : “Allez jouez le jeu merde !” et clôt une demi-heure d’une prestation un peu too much, à genoux le poing levé en demandant de “faire du bruit” pour The Breeders.
Et les voici les ladies, à peine une demi-heure plus tard, qui entrent tranquillement comme quatre filles toutes simples en chemise ou T-shirt. Kim Deal porte jeans et Converses, et la ressemblance avec sa sœur Kelley est frappante (hormis une différence de quelques kilos en moins); la grande et androgyne bassiste Josephine Wiggs est au milieu, Carrie Bradley prend place aux claviers et violon, et à la batterie s’installe Jim MacPherson, la touche masculine de la bande que l’on aurait tendance à oublier. Ses fûts pailletés apportent une petite note glamour d’une scène au décor nu où seul posé au centre, un flight case THE BREEDERS plein d’autocollants, sert à poser un effet. Kim Deal annonce en français : “Nous sommes les Breeders !”. Ils ont l’air détendus, prennent leur temps, s’amusent à échanger quelques mots en français, et révèlent le programme : c’est l’anniversaire de la sortie de “Last Splash” et il vont le jouer dans l’ordre. Comme prévu, ils démarrent avec l’énervé “New Year”, et tous sont plongés dans les sonorités de guitare très Pixies contrebalancées par la voix veloutée et nonchalante de Kim. Ils enchainent avec le très attendu “Cannonball” et sa célèbre intro où les instruments se répondent jusqu’au coup de sifflet de Kim. La version manque un tout petit peu de pêche au niveau du son, que les sonorisateurs ajusteront pendant le concert. Les filles ont une attitude shoegaze : elles bougent peu et regardent leurs baskets, cachées derrière leur cheveux. Pour le titre “Roi”, Joséphine et Jim permutent leurs instruments. L’ambiance est détendue, discutent entres eux comme le font aussi les Pixies, les deux sœurs se montrant particulièrement complices comme lorsque Kelley accompagne de mouvements de chef d’orchestre les mots de “Mad Lucas”, chanté par Kim : “and, I, don’t, like, dirt”, qu’elles chantent à deux voix “Divine Hammer”, ou que Kim introduit “I Just Want To Get Along” chanté par sa jumelle : “ma sœur she’s got the blues and she’s gonna sing about it!”. Cernée par ses pédales d’effets en demi-lune à ses pieds, Kelley semble de bonne humeur pourtant. Et la communication ne s’arrête pas à la scène; Kim Deal s’enquière de savoir d’où viennent les gens, Joséphine raconte qu’elle est allée visiter le Sacré Cœur l’après-midi pendant que les nonnes chantaient et que c’était insolite, et surtout que la France c’est tellement mieux que l’Espagne ou le Portugal d’où elles reviennent. Elles bavardent, mais elles jouent aussi. Les deux pieds bien posés sur la scène, elles balancent du gros son, des guitares qui infusent sur une ligne de basse très présente, dont les rythmiques simples et répétitives prennent aux tripes d’un Trianon bien plein. Carrie Bradley quant à elle, apparaît et disparaît selon les besoins des morceaux (et semble avoir des bretelles de soutien-gorge récalcitrantes à replacer régulièrement), prend son violon sur les tonalités un peu country de “Drivin’ On 9”, avant que le groupe ne terminent par quelques secondes de la reprise de “Roi” en instrumental. Alors qu’elles disent naturellement que le dernier titre approche celles-ci vont revenir. Il est 21h 20 et Kelley fait déjà tourner le riff de “Shocker In Gloomtown” pendant que les autres entrent tranquillement un à un. Suivront, “Head To Toe” annoncé comme une chanson d’amour écrite par Joséphine, puis une reprise assez originale des Beatles : “Happiness Is A Warm Gun”. A 21h41 et après six morceaux il est l’heure d’un nouveau rappel pour “a couple more”. Ils joueront le vieux et sonic youthien “Iris” et finiront par “Don’t Call Home”; notons que Kelley a revêtu pour l’occasion son plus beau gilet informe et gris. Dix minutes plus tard, sortie définitive de scène suite à quelques signes et sourires échangés avec la salle. Dehors, le stand de mershandiing a bien prévu ses T-shirts commémoratifs et, Joséphine et Carrie passeront même dire bonjour aux fans qui traînent un peu après le concert.
Des filles cools et, fait suffisamment rare pour être signalé, qui n’aguichent pas le spectateur ni ne montrent leur corps sous prétexte de vendre des disques. La musique des Breeders vieillit bien et il est difficile de croire que vingt ans se sont écoulés depuis “Cannonball” tant ces petites cousines des Pixies ont su garder intact la voix et l’esprit : désinvolture et liberté.
Setlist :
New Year
Cannonball
Invisible Man
No Aloha
Roi
Do You Love Me Now?
Flipside
I Just Wanna Get Along
Mad Lucas
Divine Hammer
S.O.S.
Hag
Saints
Drivin’ On 9
Roi (Reprise)
—-
Shocker In Gloomtown
Head To Toe
Happiness Is A Warm Gun
Safari
Oh!
Lime House
—-
Iris
Don’t Call Home
Crédit photos : Virginie Schmidt