Depuis que The Psychotic Monks a raflé haut la main le prix Chorus en 2018, le quatuor n’en finit pas de gravir les échelons. Article dans Télérama, interview chez FIP, mini-tournée en Angleterre, rien ne semble arrêter les petits gars de Saint Ouen qui viennent ce soir défendre leur nouveau bijou, “Private Meaning First”, dans une Maroquinerie qui affiche complet.
A 20h tapantes, ce sont les Strasbourgeois de T/O qui investissent la scène avec leur rock lo-fi et psychédélique complètement barré. Si le nom semble aussi impalpable que leur univers musical, il n’en est rien : T/O n’est pas un obscur acronyme anglais, il rend simplement hommage à son maître à penser, le guitariste/chanteur Théo Cloux. A coup de vocaux plongés sous acide et de contre temps qui viennent bousculer les ambiances, le groupe semble insaisissable.
La simple mention “rock psychédélique” pour qualifier les chansons tirées de leur album, “Ominous Signs”, revêt d’un doux euphémisme. Instable et surprenant, T/O est telle une hydre : à peine se risque-t-on à lui apposer une étiquette, qu’un autre style musical émerge déjà sur scène. Il est parfaitement cohérent que cet électron libre rejoigne The Psychotic Monks sur l’affiche.
Peu après 21h, une ambiance glaciale gagne La Maroquinerie. Plongée dans le noir, les contours de la scène deviennent flous sous les machines à fumée. Débutant sur “It’s Gone”, tiré de leur premier méfait, “Silence Slowly And Madly Shines”, THE PSYCHOTIC MONKS rallie immédiatement tout le monde à sa cause. Rock psychédélique, rock garage, post rock, post punk, toute tentative de coller une étiquette est futile pour décrire la façon dont le groupe expérimente avec ses instruments. Car c’est de ça dont il s’agit avec les Monks : prendre des instruments et des mots, explorer et confronter leurs limites.
A la croisée entre des vocalises épileptiques à la Ian Curtis (Joy Division), la décadence des riffs d’un Marilyn Manson (“Isolation”) et la pesanteur d’une formation de post metal, la musique du quatuor n’appartient qu’à lui-même. D’ailleurs, il n’y a pas de chanteur principal ni de refrain ou de structure réellement définie dans les chansons. Telles les phases ascendantes et descendantes d’une drogue, les Monks alternent scènes de transe et chaos avec des accalmies plus rares et pourtant si belles et nécessaires (“Interzone Emotional Disease”). L’une des deux guitares ne semble avoir aucun chemin tracé et distille ici et là des notes dissonantes qui nourrissent l’ambiance oppressante. Autre marqueur frappant, la répétition hypnotique des paroles (“A Coherent Appearance”) donne un côté incantatoire voire presque biblique à la musique du groupe.
Mais la force première du quatuor, c’est la façon dont il s’accapare la scène pour l’utiliser comme un réceptacle de sa frénésie aliénée. Sous le couvert d’une gestuelle incontrôlée, le quartette livre une prestation pointilleuse où son apparente anarchie est savamment maîtrisée et organisée sans jamais en donner l’impression.
Après une heure de show, le quatuor balance sa pièce maîtresse, “(Epilogue) Every Sight”, un morceau de noirceur de quinze minutes qui apparaît comme le point d’orgue de cette messe noire sonore. Décousue et magnifiquement instable, le geste se joint à la parole et les corps des moines se tordent pour se perdre et ne faire qu’un avec leur instrument. Les rescapés de La Maroquinerie connaissent le même destin tragique que les autres et finissent noyés par un “Sink” d’anthologie, concluant plus d’une heure trente de folie salvatrice.
Faire la démarche d’aller voir The Psychotic Monks, c’est faire le choix, non pas d’assister à un concert, mais d’assister à une performance. De la gestuelle possédée aux ambiances expérimentales, le tout inscrit dans une démarche artistique qui se fout des conventions, ce groupe pas comme les autres a, ce soir, proposé une expérience viscérale qui fera date. Et si vous doutiez de son humanité, mentionnons le (beau) geste d’avoir reversé les recettes du merch à l’association Utopia 56 qui vient en aide aux migrants.